vendredi 11 février 2011

Le Mystère de Valensole



"Une soucoupe volante a-t-elle atterri dans les Basses-Alpes ?". En ce samedi 3 juillet 1965, ce gros titre fait la "une" du journal Le Provençal. L’article de Victor Nathan, envoyé spécial à Digne, précise que "Les gendarmes ont relevé d’étranges traces à l’endroit où un habitant de Valensole affirme l’avoir vue avec deux passagers !". Que s’est-il passé exactement dans cette petite commune de Haute-Provence ?

C’était le jeudi 1er juillet 1965. Maurice Masse, 41 ans, quitte son domicile vers cinq heures pour se rendre dans son champ de lavande, à environ deux kilomètres du village. L’agriculteur veut profiter de la fraîcheur matinale pour biner ses plants. Avant de mettre son tracteur en marche, vers six heures, il allume une cigarette. Subitement, un sifflement assez fort retentit. Cela l’intrigue, même s’il pense qu’il s’agit probablement d’un hélicoptère en manœuvre, comme on en voit souvent dans la région. Contournant le tas de pierres qui lui masque la vue, à environ 90 mètres, Maurice Masse aperçoit alors un étrange véhicule qui ne ressemble pas du tout à un hélicoptère. Sa forme rappelle vaguement celle d’une voiture Dauphine. Surmonté d’une petite coupole transparente, il est porté par six bras articulés et un pivot central. On dirait une monstrueuse araignée...

Le cultivateur s’approche avec précautions à une distance d’une dizaine de mètres et réalise, stupéfait, que deux êtres de petite taille se dressent devant lui ! Alerté par sa présence, l’un d’eux pointe dans sa direction un tube sorti d’une sacoche accrochée à son flanc. Maurice Masse se retrouve alors totalement immobilisé, engourdi et paralysé, mais parfaitement conscient. Les deux êtres remontent dans leur engin dont la porte à glissière se referme instantanément. Il les observe tandis qu’ils s’affairent derrière le dôme transparent et entend un bruit sourd au moment où l’engin s’élève du sol. Le pivot central se met à tourner ainsi que les six bras qui s’escamotent sous l’appareil. L’engin monte ensuite à la verticale avant de s’incliner en oblique et de disparaître plus vite qu’un avion à réaction.

Maurice Masse reste paralysé une quinzaine de minutes avant de pouvoir bouger.
A l’endroit où l’engin s’est posé, la terre a la consistance d’une boue presque liquide. Or, il n’a pas plu depuis des semaines.

Un peu sonné, il tente de reprendre son travail mais le cœur n’y est pas. Rapidement, il rentre au village et se rend au Café des Sports où ses amis, le voyant particulièrement perturbé, l’interrogent :

– Si vous saviez ce qui m’est arrivé ce matin…
– T’as vu le diable ou quoi ?
– Non, pire…

L’agriculteur leur raconte sa mésaventure, sans toutefois insister sur les « êtres » ni sur le « tube paralysant », de peur d’être pris pour un fou. Rapidement, l’histoire fait le tour du village et arrive aux oreilles du chef Oliva, commandant de la brigade de gendarmerie de Valensole qui recueille son témoignage dans la journée.

Devant la gravité des faits, il alerte sa hiérarchie et ne se doute pas qu’il va bientôt être harcelé de coups de téléphone, de France et du monde entier. Car les journalistes se pressent déjà sur les lieux, à commencer par l’envoyé spécial du Provençal, Victor Nathan. Le 2 juillet, il parvient à interroger Maurice Masse mais ce dernier est réticent. Il a peur de s’attirer des ennuis.

Le reporter se rend également dans le champ de lavande avec les gendarmes et constate, à l’endroit indiqué, l’existence d’une cuvette imprimée dans le sol. En son centre se trouve un trou cylindrique aux parois lisses de 18 cm de diamètre et de 40 cm de profondeur. Au fond, trois autres trous coudés de 6 cm de diamètre ont creusé la terre. Le long de l’axe de fuite de l’objet, sur une centaine de mètres, les plants de lavandes sont desséchés.

Enfin, tout autour de l’orifice, la terre est dure comme du ciment alors qu’elle s’effrite partout ailleurs. A cet endroit, la lavande ne repoussera pas avant dix ans.

Le vendredi 3 juillet, vers 23 heures, arrive sur les lieux le capitaine Valnet, commandant de la Compagnie de gendarmerie de Digne. Maurice Masse est à nouveau interrogé de façon très détaillée une grande partie de la nuit. Le lendemain, les autorités préfectorales sont alertées, la brigade de recherche effectue des prélèvements de terre à l’endroit où s’est posé l’objet non identifié.

Le 4 juillet, nouvel article dans Le Provençal : "Le mystère reste entier sur la soucoupe volante de Valensole". Victor Nathan relate l’intense agitation qui a saisi les habitants de cette commune des Basses-Alpes. Journalistes, reporters de la télévision, habitants du département… tous veulent se rendre à l’endroit où s’est produit ce phénomène étrange, le mesurer, le photographier, le filmer et même le toucher. Une rumeur selon laquelle "la terre serait radioactive" fait néanmoins pâlir d’effroi ceux qui, imprudemment peut-être, se sont précipités sur les lieux. Il paraît même qu’on attend la venue d’un ingénieur atomiste de Marcoule et de représentants de l’Armée de l’air.

A nouveau sollicité par l’envoyé spécial, Maurice Masse répète "qu’il n’a pas la berlue" et qu’il n’a pas rêvé : "Ce que j’ai vu dans mon champ, je l’ai bien vu". On le croit parce que ce n’est pas un hurluberlu ni un farceur. Bien connu dans le pays, il ne fait aucun doute qu’un engin mystérieux s’est posé au quartier de l’Olivol, à proximité de la route d’Oraison.

D’ailleurs, le journal évoque le témoignage d’un marinier de Port-Saint-Louis-du-Rhône. Roger Cattoia, 32 ans, déclare avoir observé jeudi, vers 3 heures du matin alors qu’il naviguait sur le Rhône, une lueur verte d’une rare intensité se diriger vers le nord-est, en direction de la vallée de la Durance. "Durant plus d’une dizaine de minutes, le ciel fut entièrement vert." Et son équipier, Christian Vognin, l’a vu aussi.

Au Provençal, l’agriculteur confie également que sa première réaction a été de passer la charrue dans le champ pour faire disparaître les traces du passage de l’engin. "J’aurais du obéir à ma première impulsion. Mon champ est actuellement dans un état indescriptible et je suis littéralement pourchassé par une meute de reporters et de curieux, sans parler des interrogatoires officiels. J’ai fait si souvent le récit de ce qui m’est arrivé que j’en suis fatigué."

Et pour couper court à cette folie, il disparaît. Volatilisé !

Envoyé sur les lieux, le journaliste de l’AFP dresse un portrait bien différent de Maurice Masse, comme en témoigne l’article du Méridional paru le 4 juillet 1965 : "Les traits burinés par le soleil, le cou et les épaules larges, il a l’apparence classique du paysan. Bon chasseur, bon pêcheur, il a également hérité de cette faconde méridionale qui chante la joie de vivre, le soleil et la nature". L’article poursuit en indiquant qu’il est "connu dans le village pour sa verve facile et colorée" et qu’il lui arrive fréquemment de raconter "des exploits imaginaires" comme par exemple de pêcher des truites "comme ça", en montrant l’étendue de son bras. "Enfin, il passe pour un bon conteur d’histoires". Le quotidien révèle par ailleurs la raison de sa disparition : "Maurice Masse est parti accompagner sa fille à la presqu’île de Giens où elle va passer ses vacances".

Quant à la fameuse "soucoupe volante", le journaliste suggère qu’il s’agit en réalité d’un hélicoptère militaire en manœuvre. "L’exercice baptisé Provence 65 est maintenant terminé et les appareils qui y ont participé ont quitté le terrain de Saint-Auban". Même explication dans Le Monde daté du 4 juillet 1965 qui affirme que "la soucoupe volante était sans doute un hélicoptère".

Mais Le Provençal contre-attaque le 5 juillet, affirmant que l’engin inconnu "n’était pas un hélicoptère". A nouveau interrogé depuis Giens, Maurice Masse est formel : "L’engin ne possédait ni rotor, ni pales. J’ai tout de même la prétention de savoir reconnaître un hélicoptère. Ce n’en était pas un. Je suis formel ! La carlingue avait une forme ovale, mais je n’ai jamais dit qu’il s’agissait d’une soucoupe volante".

Et Victor Nathan ne se prive pas de pester contre ces informateurs "qui jugent un fait à 100 km de distance" ou ces "affirmations de confrères aigris d’avoir raté l’information dès le premier jour (…) M. Masse est le contraire de ce que l’on appelle un galéjeur. Enfin, à l’inverse de ce que rapportent d’autres journaux, un constat rigoureux a été effectué par la gendarmerie".

Le lendemain, Le Méridional titre "Dépression nerveuse pour l’auteur du récit". Maurice Masse semble avoir craqué. Il souffre d’hypersomnie, dormant 12 à 15 heures par jour, et ne veut plus voir personne. Les gendarmes le laissent tranquille pendant l’été mais ne lâchent pas l’affaire. Il est convoqué le 18 août à la gendarmerie. Interrogé durant plus de huit heures par le capitaine Valnet, il décrit de façon détaillée les deux êtres qu’il a vus, éléments qu’il n’avait pas osé donner lors du premier procès-verbal, par peur du ridicule. Selon lui, ils ne mesuraient pas plus d’un mètre, leur crâne disproportionné était chauve, sans cou, et ils avaient un trou à la place de la bouche. Il ajoute avoir entendu une sorte de gargouillement provenant de leur gorge. 

Les enquêteurs sont perplexes, le témoin n’a donc pas tout dit lors du premier interrogatoire.

Intrigués par cette histoire, des Ufologues de la Commission Ouranos, un groupement privé s’intéressant aux Ovni, mènent l’enquête. L’un d’eux, Aimé Michel, est formel : "Si le témoin a inventé la chose, c’est tout à fait conforme à ce que l’on sait déjà, en particulier une observation faite le 24 avril 1964 aux Etats-Unis où un engin du même type a été vu dans la région de Soccoro, au Nouveau-Mexique". Quant à Jimmy Guieu, chef du Service d’enquête d’Ouranos, il se rend sur les lieux et constate par lui-même, en cassant son canif, combien la terre est dure à l’endroit où l’engin s’est posé.

Magistrat à Lyon, maître Chautard s’intéresse lui aussi à l’affaire. Membre du Groupement d’études des phénomènes aériens (Gepa), il publie son rapport dans la revue "Phénomènes spatiaux" avec la conclusion suivante : "Nous sommes personnellement enclins à penser que le champ de lavande de M. Masse a été l’objet d’une visite insolite et, semble-t-il, extraterrestre". De son côté, après des investigations minutieuses, la gendarmerie s’interroge : d’où proviennent les traces laissées dans la terre ?

Au début des années soixante-dix, d’autres observations d’objets non identifiés sont signalées. En 1974, le journaliste Jean-Claude Bourret y consacre une série d’émissions à la radio. Les livres sur les Ovni se vendent par centaines de milliers.

Chercheur au Centre national d’études spatiales (Cnes), Claude Poher se passionne depuis longtemps pour les phénomènes spatiaux non identifiés. Avec l’appui de l’Association des auditeurs de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), il réussit à convaincre le Cnes de créer une cellule spécialisée : le Groupe d’études des phénomènes aérospatiaux non identifiés (Gepan) qui voit le jour le 1er mai 1977. Sa mission : constituer un fichier des observations, enquêter sur le terrain, expertiser les rapports disponibles…

Le Gepan élabore une classification des cas. Celui de Valensole est répertorié dans les phénomènes de type D (non identifiable par les experts malgré des rapports relativement précis et complets), dans la catégorie des observations rapprochées de type 3 (description de la présence d’entités occupant l’Ovni). Mais le manque d’argent a raison du Gepa qui poursuit néanmoins son activité, à partir de 1988, dans le cadre du Sepa, Service d’expertise des phénomènes aérospatiaux atmosphériques, se limitant à recueillir des informations sur les rentrées de satellites et les phénomènes aérospatiaux non identifiés.

En 1997, vingt ans après la création du Gepa, d’anciens auditeurs de l’IHEDN jugent utile de faire un point sur le dossier et constituent un Comité indépendant d’étude approfondie (Cometa), présidé par le Général Bernard Norlain et dirigé par le Général de l’Armée de l’Air Denis Letty. Edité en 1999 sous l’intitulé « Les Ovni et la défense : A quoi doit-on se préparer ? », le rapport Cometa fait aujourd’hui référence, recensant notamment les témoignages de pilotes militaires et civils qui ont été confrontés au phénomène Ovni.

Certains cas spectaculaires y sont démystifiés comme en ce 29 septembre 1988 où un garagiste circulant sur l’autoroute Paris-Lille voit une énorme boule rouge traverser la chaussée, à quelques dizaines de mètres de lui, et rouler en contrebas. Lançant des reflets lumineux et enveloppée d’une fumée dense, elle finit par s’arrêter dans un champ. En fait, après enquête, on découvre qu’il s’agit d’une sphère destinée à un concert de Jean-Michel Jarre tombée du camion l’emportant à Londres !

Le rapport suggère que les Etats-Unis en savent "beaucoup plus que les Français et qu’ils ont peut-être récupéré une épave, voire des cadavres". Mais leur politique de secret (et même de désinformation) sur la découverte d’Ovni, pour en conserver le bénéfice technologique, ne permet pas d’en savoir plus.

Le cas de Valensole est largement évoqué dans le rapport Cometa. Ainsi, la paralysie du témoin est-elle expliquée par un "effet de micro-ondes pulsées analogues à celles vraisemblablement utilisées de nos jours par les armes à micro-ondes antipersonnelles". Mais le rapport conclut que "Malgré quelques éléments contradictoires dans le récit de Maurice Masse, les éléments recueillis par les deux brigades de gendarmerie confirment la plausibilité des faits, en particulier les effets sur l’environnement et sur le témoin lui-même qui, durant plusieurs mois, dormit douze à quinze heures par nuit à la suite de la paralysie dont il avait été victime". Il précise par ailleurs que l’enquête de moralité sur le témoin n’a révélé aucun "éléments particuliers permettant de soupçonner un comportement de mythomane ou le montage d’un canular". Valensole fait désormais partie des rares cas qui sont restés inexpliqués, en dépit de la richesse de leurs données.

Le Sepra cessa son activité en 2004 avant de renaître, en 2005, sous le nom de Geipan, Groupe d’études et d’informations sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés. Quant à Maurice Masse, il décéda le 14 mai 2004, emportant son secret dans la tombe. En 1972, il avait déclaré au journaliste René Pacaut, qui recueillait des témoignages pour un livre : – Je ne peux pas dire tout ce que j’ai vu. Personne ne me croirait…

Sources
-          "Histoires vraies en Provence-Alpes Côte d'Azur" de Sylvie Reboul, paru chez Le Papillon Rouge Editeur
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