samedi 5 février 2011

Interview de l'exorciste Gabriele Amorth

Photo de Gabriele Amorth

Possessions et rites sataniques, confrontations directes avec les démons, sectes du Mal implantées au coeur de Rome... dans ses Confessions (1), le père Gabriele Amorth, exorciste en chef de la cité du Vatican, raconte ses années de combat, de corps-à-corps avec les puissances infernales, par le biais de scènes dignes du Moyen Age. En avant- première, Le Figaro Magazine vous présente les bonnes feuilles de cet ouvrage, publié sous forme d'entretiens, où les questions sont posées par le journaliste de La Stampa, Marco Tosatti.

Ordonné prêtre en 1954, Don Gabriele, 85 ans, est depuis 1986 l'exorciste en chef de la cité du Vatican et de l'archidiocèse de Rome. « Plus un exorciste est animé par la foi, plus puissante est son action », affirme-t-il, ce qui l'amène à pourchasser le diable partout où il croit le voir, y compris au sein du Vatican - ce qui peut laisser perplexe, même si Paul VI a dit que « la fumée de Satan » était bel et bien entrée dans l'Eglise...

Révolté par la progressive disparition de ce qu'il définit lui-même comme une« profession », le père Amorth a fondé l'Association internationale des exorcistes, visant à perpétuer les cultes de conjuration du démon. Par des rites et des prières de délivrance, il officie toujours « du matin au soir », malgré son grand âge, pour soulager de leurs souffrances des personnes qui n'ont pas trouvé de recours dans la médecine et la psychiatrie.


"C'est en 1986 que vous avez reçu du cardinal Poletti (2) la charge d'exorciste. Voilà maintenant vingt ans et plus que vous menez cette bataille. En quoi votre vie a-t-elle changé ?

A présent, je me consacre entièrement à la pratique des exorcismes. Or, je vois que les besoins sont immenses et les exorcistes peu nombreux. Si bien que je travaille du matin au soir, sept jours par semaine, y compris à Noël et à Pâques. A chaque fois, je me rends compte d'une chose: au grand silence sur le diable, qui naît souvent au sein de l'Eglise elle-même, s'oppose une volonté profonde de savoir, venue des fidèles et des gens simples. Il ne fait aucun doute qu'être exorciste m'a beaucoup renforcé dans ma foi et dans la prière. Pendant que le cardinal Poletti rédigeait le document me confiant la charge d'exorciste, je me suis recommandé à la Madone: « Enveloppe-moi dans ton manteau et protège-moi, je t'appartiens. » Et puis je me prénomme Gabriele, l'archange est mon saint patron...

Que pensiez-vous du démon, avant ?

Pour dire la vérité, je ne m'en souciais pas du tout. Je savais qu'il existait, bien sûr. Je croyais à l'Evangile. A Modène, ville dont je suis originaire, je n'avais jamais entendu parler des exorcistes. Il est vrai qu'à l'époque nombre de prêtres n'abordaient pour ainsi dire jamais ces sujets-là: le démon, la possession, les exorcismes... J'ai été ordonné prêtre en 1954, année mariale et centenaire de l'Immaculée Conception. Plus de cinquante ans ont passé. Mais en ce temps-là comme de nos jours, s'il y a quelque chose de très important, c'est la formation des prêtres. L'instruction qu'il convient de leur donner, précisément en ce qui concerne la réalité du diable et le ministère de l'exorcisme. Et c'est d'autant plus valable à présent que nombre de jeunes ne vont plus à l'église, mais assistent au contraire à des séances de spiritisme, consultent des envoûteurs, des cartomanciennes, et ainsi de suite. Je pense qu'il est fondamental de les informer afin de les tenir éloignés de ces dangers. Et pour les informer, il faudrait des prêtres bien préparés. Or, une bonne partie du clergé en sait vraiment peu sur la question...

Le jour où j'ai dû faire face à un cas évident de possession diabolique, j'ai compris que la réalité de l'action satanique et de la prière d'exorcisme ne relevait pas du passé, qu'il ne fallait surtout pas la cantonner aux temps anciens ou à l'époque de Jésus. Elle existe de nos jours aussi bien! Satan agit plus que jamais; il s'efforce encore de conduire le plus grand nombre d'âmes possibles à la mort éternelle. Dès le début de mon ministère, j'ai compris qu'il existe deux catégories de possédés, et que ces catégories s'opposent. Il y a les personnes possédées du fait de leurs erreurs, et celles qui le sont du fait de leur amour pour Dieu. Je puis le confirmer en me fondant sur les Ecritures et sur la tradition. Je me rappelle un cas qui m'a beaucoup touché personnellement. Il s'agit d'un excellent séminariste. Faute d'avoir été exorcisé par mes soins, il a quitté le séminaire au bout de deux ans, et finalement perdu sa vocation. Tout est arrivé dans des circonstances fort délicates, douloureuses même, sur lesquelles je ne veux pas m'étendre. Je puis dire toutefois que l'expérience a représenté pour moi un grand choc révélateur, et m'a fait comprendre comment l'on devait s'y prendre pour contrarier l'action du démon, surtout quand elle vise les personnes consacrées.

(...) Il faut reconnaître qu'en dépit des progrès de la technologie moderne, c'est seulement en tant qu'exorcistes que nous sommes capables de procéder à des distinctions rapides dans les événements et les situations qu'il nous faut affronter. Le démon n'a ni barrière ni limite quand il s'agit de s'aliéner des personnes ou des âmes. Quand on se place dans une perspective historique, et que l'on compare les cas actuels et ceux qui ont été publiés, ceux que nous considérons comme des exemples classiques de possession ou de vexations démoniaques, il semble que les choses aient beaucoup changé. Ce qui était regardé jadis de telle ou telle façon, nous le voyons aujourd'hui comme une forme de maladie mentale. Ensuite vient l'exorcisme. On commence à vérifier ce qu'il en est, à provoquer l'individu. Alors, et alors seulement, il est possible de dire si ce qui avait été étiqueté comme maladie mentale en est vraiment une, ou s'il ne s'agit pas plutôt d'un maléfice. Car nous devons toujours nous fonder sur des signes et des phénomènes observables ; on peut aussi pratiquer des provocations silencieuses - avoir sur soi l'Eucharistie, par exemple, à l'insu de tout le monde -, en utilisant l'eau bénite, le sel bénit, ou l'eau servant aux liturgies pascales. On observe ce que les gens acceptent ou refusent de boire. Ils reconnaissent toujours l'eau bénite et le sel bénit. Pendant des années, on m'a craché à la figure: c'était quand il y avait une présence démoniaque dans la personne.

Nous devons rester attentifs, car dans le monde où nous vivons et travaillons, le démon cherche à détruire le pouvoir de l'Eglise en ruinant le sacerdoce du Christ. Nous devons aussi apprendre à travailler avec nos collègues médecins, y compris dans le champ de la santé mentale: ils peuvent apporter à l'Eglise une aide significative. (...) Bien des patients se sont adressés à moi après avoir consulté un médecin. J'ai même établi un usage : on ne peut venir me voir sans un certificat attestant que l'on s'est scrupuleusement soumis à des consultations de spécialistes. En effet, une personne qui souffre doit toujours commencer par aller voir un médecin.

Vous appartenez à une congrégation religieuse. Comment votre travail y est-il jugé ?
C'est un ministère difficile et incompris que celui de l'exorciste. En ce qui me concerne, on m'aime tellement que j'en suis à ma 23e affectation... on me chasse, on me chasse, on me chasse de partout... mais si l'on crie, c'est parce qu'on ne veut pas écouter. On m'a chassé de tous les lieux où j'ai exorcisé, ici à Rome (...) C'est ainsi ! Les évêques, même ceux qui nomment des exorcistes, le font de mauvaise grâce, en général. Si encore ils s'informaient ! Comment ça se passe, combien nous sommes, ne faudrait-il pas en nommer davantage, combien de personnes sont touchées... si encore ils réunissaient les exorcistes pour étudier la situation. Mais non. Rien. Ils nomment quelqu'un, et l'exorciste se débrouille. Ils ne s'en occupent pas...

Quand vos patients arrivent chez vous et entrent dans votre cabinet, sont-ils déjà en fureur ?

Il arrive qu'ils le soient. Il faut même parfois que leurs proches les portent. Il est aussi des cas où l'on rit et plaisante, où l'on s'efforce de maintenir une ambiance sereine. Entre deux séances, on marque une pause. On blague un peu. Bref, le climat est détendu.

Naturellement, l'atmosphère pendant la séance doit toujours être au recueillement, puisque nous prions beaucoup. Et dans les cas les plus difficiles et les plus rares, ceux qui présentent une possession démoniaque, les gens entrent en transe. On parle de possession démoniaque quand il y a possession par le démon; autrement, ce sont des vexations.

Padre Pio (3), par exemple, était un cas de vexation. Selon plusieurs témoignages, le démon le battait et le fouettait jusqu'au sang. (...) En général, pour effrayer le Padre Pio, le démon prenait la forme d'un chien méchant. Il essayait de le terroriser. De le tromper, aussi, et, dans ce cas, il prenait la forme de Jésus, de la Madone, de son Supérieur, de son directeur spirituel, de son père gardien. Il entrait dans la cellule et lui donnait des ordres.

Padre Pio, perplexe, retournait voir le père gardien et lui demandait: « Père gardien, vous m'avez vraiment dit de faire telle ou telle chose ? Le père gardien répondait: «Mais non. Je ne suis même pas venu te voir! Padre Pio comprenait qu'il avait eu affaire au démon. D'autres fois, le diable lui apparaissait sous la forme de filles nues. Il le provoquait par des tentations en l'attirant sur le terrain de la chasteté. (...)

Les vexations, donc. Disons qu'elles se manifestent principalement comme des sortes de plaisanteries méchantes perpétrées par le démon. Car l'ennemi est capable de se livrer à des « blagues » vraiment cruelles. Et il ne s'en prive pas (...) Le diable s'amuse !

«Le démon m'a peut-être raconté un bobard»

La femme dont il sera question à présent est une veuve de 50 ans. Elle a une fille et deux petits- enfants. Elle explique que ses ennuis ont commencé aussitôt après son mariage. Elle souffre d'asthme, elle est sujette à des évanouissements ainsi qu'à des douleurs gastriques et intestinales; elle vomit des choses bizarres, comme des cheveux ou des haricots crus... Elle entend des coups frappés dans la maison, les meubles vibrent. Elle a le sentiment d'être détestée par plusieurs de ses parents et amis, en particulier par sa belle-mère qui ne l'a jamais acceptée comme épouse de son fils unique.

Après quelques minutes d'exorcisme, elle entre en transe et le démon commence à parler. Il menace la malade, et même l'exorciste. Je lui dis: «Tu ne peux rien me faire, parce que je suis un ministre du Christ! Tu ne peux rien faire sans sa permission, même pas prononcer un mot, même pas faire un geste. Tu dois lui obéir et tu dois obéir aussi à Lucifer ton chef. Avec mon exorcisme, tu es battu.» Il réagit à l'exorcisme, puis il réagit aussi au «Dieu soit béni», ainsi qu'au «Bénie soit sa Sainte et Immaculée Conception». Je reprends alors: «Tu trembles, hein, quand tu entends le nom de Marie! Elle te fait peur parce qu'elle ne t'a jamais été soumise par le péché ! Parce qu'elle n'a pas le péché originel, et parce qu'elle t'a écrasé la tête avec son fils Jésus!» Il m'interrompt: «Tu sais avec quel pied?» Je me prends à son jeu: avec quel pied? Voyons un peu... Ça m'intéresserait bien de le savoir !» Sa réponse: «Avec le pied droit. » J'insiste: «Pourquoi avec le pied droit ? » Il réplique: «Parce que c'est le plus fort et le plus résolu.» J'en reste sans voix. Puis le doute me saisit: il m'a peut-être raconté un bobard. Le lendemain, l'occasion se présente de m'entretenir avec mon évêque. Je lui raconte l'épisode. Il me répond que cette histoire de pied droit est une sottise. Car la Madone, en vérité, n'a rien écrasé de matériel, elle ne s'est pas servie de son pied; nous sommes là dans le domaine de la théologie, pas de la physique. Satan a bien été mis en échec et son règne a bien été détruit, mais la chose doit s'entendre d'un point de vue spirituel.

Huit jours plus tard, au cours de l'exorcisme de cette même femme, alors qu'elle est déjà hors d'elle-même, que ses yeux se révulsent et qu'elle se tord comme un serpent dans des spasmes atroces, l'intrus prononce des offenses et des menaces dirigées en particulier contre l'exorciste. Il laisse échapper aussi des étourderies. C'est alors que je l'interromps : « Dis donc, Lucifer ! Oui, toi ! L'autre jour, cette histoire de pied... » Le malin réplique aussitôt d'une voix glacée qui me pétrifie: «Je me moquais de toi !»

Etait-ce une leçon pour m'empêcher de céder à la curiosité?»

Auteur : Patrice De Méritens

Source
Le Figaro, 17 septembre 2010
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