jeudi 17 février 2011

Le premier Homme vient-il du Cantal ?



De 1870 à 1914, une violente polémique a divisé les scientifiques au sujet de l'âge de l'homme. Au centre de ces débats, des silex retrouvés à Aurillac baptisés « éolithes ».

Et si le Cantal était l'un des berceaux de l'humanité ? Et si, sur les pentes du puy Courny, qui domine aujourd'hui Aurillac, un homme avait taillé des silex pour s'en faire des outils voilà plus de 5 millions d'années ? Et si, en quelques mots, Aurillac avait été le centre d'un monde : celui de l'Homme tertiaire ?

Ces interrogations ne sont pas de simples projections. Elles ont violemment opposé archéologues et paléontologues du monde entier de 1870 jusqu'à la Première Guerre mondiale. Au centre de la controverse : des pierres baptisées « éolithes », trouvées notamment par Jean-Baptiste Rames dans la carrière de Coissy, au puy Courny.

Des pierres mystérieuses
Ces « pierres de l'aurore » (qui vient du grec éos=aurore et lithos=pierre) sont des silex qui, selon toutes les apparences, ont été travaillés par l'homme. Elles présentent en effet plusieurs indices troublants allant dans ce sens : des points d'impact, des cônes de percussion et même des retouches d'avivage.

Mais ce qui rend ces pierres par-dessus toutes mystérieuses, c'est qu'elles ont été trouvées dans une couche de sable miocènes (quatrième époque géologique du tertiaire, qui s'étend de 24 à 5 millions d'années). Jusqu'alors, les recherches scientifiques avaient estimé l'apparition de l'homme plus tardivement, au quaternaire seulement (de 2,5 millions d'années à nos jours).
Les partisans de ces pierres - dont l'un des chefs de file est Aimé Rutot, directeur de l'académie des sciences de Belgique - y reconnaissent les outils préhistoriques : les grattoirs, les percuteurs, les racloirs, les perçoirs...

Pourtant, si l'on retrouve aux côtés des silex des dents ou des ossements d'animaux, aucun indice de présence « humaine » n'est mis au jour.

L'Église s'en mêle
Les opposants à cette théorie, Marcellin Boule en tête, ne voient dans ces traces sur les pierres que le jeu des actions naturelles, des mouvements de terrains et du ballottement dans les cours d'eau. En bref, ils considèrent que ces silex ont été « taillés par eux-mêmes ».

Les chercheurs viennent de toute l'Europe, de l'Angleterre à l'Allemagne, en passant bien évidemment par la France et la Belgique. Par publications scientifiques interposées, les deux camps s'échangent quelques noms d'oiseaux. Aimé Rutot s'indigne d'une maladie mentale qui frapperait ses confrères et qu'il nomme l'« antiéolithisme ».

La polémique sort même du cadre scientifique : l'Eglise, par exemple, s'oppose à cette théorie des éolithes en niant l'existence de l'Homme tertiaire, vieux de cinq millions d'années, et donc antédiluvien.

L'homme tertiaire
Mais une découverte vient rapidement porter un coup dur au camp des « pour » : en observant le concassage de craies dans une cimenterie à Guerville (Yvelines), les scientifiques remarquent que la machine « produit » des éolithes : les silex qui sortent des cuves possèdent toutes les caractéristiques des pierres du puy Courny, jusqu'aux retouches d'avivages.

Peu à peu, les défenseurs de la théorie de l'homme tertiaire se font moins nombreux. Et la polémique s'éteint totalement avec la Première Guerre mondiale.

« Comme paléontologiste, je crois fermement à l'existence de l'Homme tertiaire ; je ne doute pas qu'on trouvera un jour ses traces sur quelque point du globe ; mais, pour être irrécusables, ses traces devront avoir une valeur tout autre que celle des éolithes », écrit Marcellin Boule dans l'Anthropologie en 1905.

 Repère
- 4,4 millions d'années : l'australopithèque (Lucy)
- 2,5 millions d'années : Homo habilis (développement des outils)
- 1,6 million d'années : Homo erectus
- 400 000 : domestication du feu
- 300 000 : Néanderthal
- 40 000 : Homo sapiens (apparition de l'art)

Source
La Montagne, Jean-Baptiste LEDYS
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