Le maire et les habitants du village de la Haute Vallée de l'Aude ne rient plus : de plus en plus d'illuminés viennent en pèlerinage sur le Pech, seul lieu prétendument épargné de la fin du monde en 2012…
«On va tous mourir ! » « Les extraterrestres vont venir nous prendre, ouh, ouh ! » La musique du mp3 à fond, les deux ados assis devant la mairie déserte, mettent gentiment en boîte le journaliste qui vient de s'arrêter au village. Froid glacial, rues vides, Bugarach, à peine 200 âmes, ronronne au pied du Pech éponyme, assoupi entre Noël et le jour de l'an. Mairie ? Fermée. Restaurant bar ? Fermé. Maison de la nature ? Fermée. Et prière de ne pas parler de fin du monde.
L'invasion des « ésotéristes », comme on les appelle ici, ne date pas vraiment de la semaine dernière. Mais, là, la limite de tolérance autochtone pour un accueil aimable des amateurs de théories fumeuses en Haute Vallée audoise semble avoir atteint son maximum. Depuis quelques mois en effet, les Bugarachois assistent à une recrudescence de visiteurs de tous poils, de moins en moins des amateurs de randonnée à flanc de montagne, de plus en plus des chercheurs d'extraterrestres. La faute, entre autres, au calendrier Maya, à la fin des temps qui, forcément, approche, et, à la croisée de tout ça, à Internet.
« L'ARMÉE SI BESOIN »
Bugarach serait en effet, selon une croyance sinon répandue en tout cas de plus en plus diffusée sur la toile, l'un des seuls, sinon le seul endroit sur Terre à être épargné lorsque surviendra, le 12 décembre 2012, (ou le 21, c'est selon), la fin du monde. Si, chez la grande majorité de nos concitoyens cette annonce fait sourire, il est au moins deux catégories qui ne rient pas : ceux qui y croient, et les Bugarachois.
Le premier d'entre eux, Jean-Pierre Delord, maire, craint en effet un remake version apocalypse now des fameux apéros facebook : « Il n'y a pas de quoi rire », déclarait-il il y a peu. « Si demain 10 000 personnes débarquent, étant une commune de 200 habitants, nous ne pourrons pas faire face. J'ai fait part de nos inquiétudes aux autorités, et je veux que l'armée puisse être là si besoin est en décembre 2012. »
Une préoccupation suffisamment tenace pour avoir été inscrite à l'ordre du jour d'un conseil municipal, début décembre. Depuis, le ras-le-bol guette. « Vous croyez pas qu'on a déjà assez parlé de ces conneries ? », tonne Thierry derrière sa moustache. En attendant 2012, les villageois sont plus préoccupés en ce moment par deux projets : le premier de classement du site du Pech en zone protégée ; le second de fermes éoliennes à flanc de la même montagne. Ce qui ne va pas sans polémique.
Mais le phénomène a pris une telle ampleur qu'il est désormais difficile de l'ignorer. « Au début, ma clientèle était constituée à 72 % de randonneurs. Aujourd'hui, j'ai 68 % de visiteurs ésotériques », témoigne Sigrid Benard, gérante de la Maison de la nature, l'une des rares structures d'hébergement du coin.
« ICI ON EST SUR UN VORTEX »
Au village on peste, encore, contre ces ésotéristes qui font main basse sur les terrains agricoles, les maisons, et mécaniquement s'envoler les prix (lire ci-dessous). Chacun ici a son anecdote à raconter sur des « illuminés » qui prient nus dans la montagne ou se livrent à des rituels : « Je les ai déjà entendus en me promenant », raconte un villageois. « Ils avaient organisé un stage pour aller pousser le cri primal dans une cavité naturelle. »
Accoudée à sa fenêtre, dans le virage à la sortie du village, Jeanine Bladanet, 70 ans, semble observer l'affaire avec détachement, et même un certain dédain. Passionnée de Rennes-le-Château, de l'abbé Saunières, se présentant comme maître de conférences en égyptologie et en ufologie, elle se contrefiche des fermes éoliennes et des classements en zone protégée. « Toutes ces histoires de calendrier Maya, de fin du monde, sont des foutaises… » Si Jeanine s'est installée là il y a 15 ans, c'est précisément en raison du caractère « tellurique » du lieu : « Regardez autour de vous : ces falaises, cette montagne, la vallée. Ici on perçoit le magnétisme de la Terre. On est sur un vortex qui puise son énergie au plus profond de la Terre et le diffuse vers les étoiles. »
On l'aura compris, la vérité est ailleurs. à Bugarach ? Rendez-vous en décembre 2012…
Les folles rumeurs du net
Vous êtes bien assis ? Alors c'est parti pour une série de révélations toutes plus fracassantes les unes que les autres où l'on croise pêle-mêle des extraterrestres, le Christ, le Graal, les Templiers, l'abbé Saunière, et François Mitterrand. Toute une littérature foisonne sur Bugarach depuis des dizaines d'années. Le progrès faisant rage, Internet a depuis pris le relais. Le site du Pech de Bugarach est notamment réputé dans le monde des ufologues (spécialistes des ovnis) comme étant un site privilégié pour l'observation d'objets volants, voire de formes humanoïdes, bref de tout un bestiaire extraterrestre.
Parmi les rumeurs courant sur la toile, il en est une assurant que l'armée, au moyen d'un satellite, aurait découvert l'existence d'une cavité ou d'un lac caché sous le mont Bugarach. Un lac qui servirait de base à des extraterrestres. Un auteur au pseudo de Jean d'Argoun affirme même que la cavité en question abrite en réalité depuis 9 000 ans un vaisseau, renfermant en son sein tout le savoir des Atlantes, le peuple disparu de l'Atlantide…
D'un forum « spécialisé » à l'autre, on accorde plus ou moins de crédit à ce Jean d'Argoun. Mais si l'on écarte les Atlantes, alors on tombe sur une autre théorie bien connue dans la région, convoquant Rennes-le-Château et les Templiers : le Bugarach renfermerait en réalité le Graal, l'Arche d'Alliance voire le Christ lui-même, réfugié en pays cathare avec Marie-Madeleine. D'autres disent que l'abbé Saunière, supposé découvreur du trésor des Templiers, déambulerait encore dans l'une des grottes de la montagne.
Quant à la théorie de la fin du monde en 2012, il semblerait que son origine soit à chercher du côté des écrits du fameux Jean d'Argoun : il fait du Bugarach une montagne sacrée, lieu d'une prochaine révélation. Et François Mitterrand alors ? Le net s'est chargé de lui aussi : plusieurs sites et forums rapportent que le président, féru de mysticisme, aurait été héliporté directement au sommet du Pic du Bugarach…
Le foncier flambe
La camionnette s'arrête au milieu de la route, sur un petit pont enjambant un ruisseau, warnings en marche. Une jeune femme, la vingtaine, en descend, sweet-tshirt, baggy : « Vous êtes journaliste ? Il ne faut plus venir maintenant, c'est ça qu'il faut leur dire. » Elle vient d'aller faire courir ses border collies sur le terrain de foot municipal, en contrebas de Bugarach : « Je voudrais m'installer, avec un troupeau de brebis. Mais depuis qu'il y a toute cette médiatisation autour de la fin du monde, de Bugarach, les prix des terres ont flambé. Moi je n'arrive pas à m'installer. Alors il ne faut plus venir et nous laisser tranquille. »
Et si le foncier flambe les quelques biens immobiliers disponibles dans cette zone reculée sont sur la même voie. « C'est difficile à évaluer mais on voit de plus en plus de gens qui viennent s'installer ici. Ce qu'on voit surtout c'est leurs gros 4x4 et les prix qui montent… »
Le chiffre : 1 231
mètres > D'altitude. Le Pic (ou Pech) de Bugarach est le point culminant des Corbières. Voilà pour sa taille en système décimal. Car sur le net, des petits malins affirment qu'en système « octal », la mesure du serait précisément de 666. Le chiffre de la Bête. Brrr…
La phrase
« On est inquiets, on peut voir sur internet que des illuminés prévoient la fin du monde pour le 21 décembre 2012 et que Bugarach serait l'endroit où il faudra être pour se sauver. » Jean-Pierre Delord, maire de Bugarach
Médias : le buzz continue
La presse locale avait lancé l'affaire, relayant l'inquiétude du maire du village devant une possible invasion de « fin-du-mondistes ». Puis c'est l'Agence France Presse qui a pris le relais avant que radios, télés et quotidiens nationaux ne se penchent sur Bugarach. Qui a aussi eu droit aux égards de Radio canada et du Daily Telegraph…
Source
http://www.ladepeche.fr/, article écrit par Jérôme Schrepf, publié le 31 décembre 2010
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