La Commission
européenne a provisoirement validé le projet de budget 2015 présenté par la
France, modifié dans le sens d’une accentuation de la réduction des déficits.
La décision finale sera prise au printemps 2015 au moment où la France aura
satisfait les exigences de la Commission européenne.
Comment le
fera-t-elle, si elle ne l’a pas fait depuis l’élection de François Hollande au
poste du Président de la République en 2012 ? Aujourd’hui, la dette publique
représente près de 95% du PIB, chiffre qui dépasse considérablement les 60 %
demandés par l’Union européenne. De même avec le déficit public de 4,4 % contre
maximum 3 % autorisés. Nous avons invité à débattre cette question le directeur
d'études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), le
politologue Jacques Sapir.
Spoutnik. Que pensez-vous du projet de plan
budgétaire 2015 de France compte tenu de la situation économique actuelle au
sein du pays et dans la zone euro ?
Jacques Sapir. Le projet de budget qui est en train
d’être voté par le Parlement français et qui est aujourd’hui pratiquement
finalisé ne correspond absolument pas aux besoins de l’économie française. Il
est clair que dans ce projet de budget vous avez, à la fois, une insuffisance
de l’effort de l’Etat en matière d’investissement et vous avez un excès de
pression fiscale, en particulier, sur les ménages et sur les petites et
moyennes entreprises. La combinaison de ces deux facteurs va être extrêmement
perverse sur les résultats de l’économie française.
Spoutnik. La Commission européenne a rendu son avis
sur les projets de budget 2015 des pays de la zone euro. Quant à la France,
elle n’a pas constaté de « manquement grave », mais elle craint que le projet
budgétaire présente un risque de non-respect des règles du pacte de stabilité
et de croissance, qui prévoit un déficit public inférieur à 3% du PIB et une
dette publique sous les 60% du PIB. Comment pourriez-vous commenter ce
pronostic de la politique économique de la France ?
Jacques Sapir. Effectivement, la Commission
européenne fait une observation très juste : le projet de budget est compatible
avec une croissance relativement forte, la croissance qui est prévue est de
l’ordre de 1,2 %. Il est tout à fait clair que jamais la France ne pourra avoir
en 2015 cette croissance. Donc, la Commission européenne met en garde,
évidemment, le gouvernement français contre le fait que les objectifs de
déficit ne seront pas tenus. De ce point de vue, elle a raison.
Mais de l’autre côté, il faut comprendre que le
projet de budget de la France essaie de faire un équilibre entre, à la fois, le
besoin de stabiliser le déficit budgétaire et la nécessité de relancer
l’économie et, d’une certaine manière, de développer la dépense publique. Ici,
on se retrouve avec une contradiction qui est propre à la Commission
européenne. La Commission européenne voudrait, à la fois, que l’Europe se
développe, mais elle impose des politiques budgétaires qui, au contraire, vont
plonger l’Europe dans la récession.
A partir de là, on peut dire que, bien sûr, ce que
propose la Commission européenne n’est pas juste, même si elle fait des
observations justes, sur le budget de la France. Fondamentalement, la seule
manière pour la France de retrouver une forte croissance et, à terme,
évidemment, d’avoir un espoir de consolider et de stabiliser son budget et de
réduire fortement son déficit, le seul espoir serait une amélioration très
forte de la compétitivité de l’économie française qui passe, en réalité, par
une sortie de la zone euro et par une dévaluation massive du franc retrouvé
dans cette nouvelle situation monétaire.
Spoutnik. Est-il vraiment possible que la France
sorte de la zone euro et, par conséquent, de l’Union européenne ?
Jacques Sapir. Il y a deux problèmes. Faut-il sortir
de la zone euro ? Oui, bien sûr. Je pense que la zone euro ne survivra pas à
l’année 2015. Maintenant, faut-il sortir de l’Union européenne ? S’il s’agit de
l’Union européenne telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, c’est probable. A
partir du moment où la zone euro n’existera plus, l’Union européenne elle-même
sera largement modifiée et, dans ce cas-là, on peut parfaitement estimer que la
France pourrait rester dans une Union européenne largement modifiée.
Spoutnik. Vous évoquez, plutôt, des démarches à long
terme, mais si pour revenir à court terme, qu’est-ce que la France pourra faire
maintenant pour réconcilier, d’une part, un projet de budget qui n’est pas
compatible avec ses besoins et, d’autre part, avec ce que lui demande la
Commission européenne ?
Jacques Sapir. C’est tout le problème ! La France,
ou elle donne satisfaction à la Commission européenne et elle rentre en
récession, ou elle ne donne pas satisfaction à la Commission européenne et elle
maintient une croissance très faible voire une espèce de stagnation, mais elle
voit ses déficits exploser. En réalité, elle ne peut ni donner satisfaction à
la Commission européenne, ni relancer sa croissance tant qu’elle reste dans la
zone euro.
Tant que les hommes politiques n’auront pas pris
conscience de cette contradiction de l’économie française et ne reconnaîtront
pas la réalité de cette contradiction, ils seront amenés à connaître des
positions de basculement, un jour, plus d’austérité, puis, immédiatement,
regardant les conséquences de cette austérité, faire de la relance, cette
relance recreuse les déficits, il s’agit de la balance commerciale ou du
déficit du budget, donc, on revient à l’austérité. D’une certaine manière, on
parcourt le cercle des différentes politiques économiques possibles à toute
vitesse et on revient toujours à son point de départ.
Commentaire. A l’origine, la création de la zone euro
n’était pas un choix économique, mais politique. Dans les années 1989-1991,
François Mitterrand voulait utiliser la puissance monétaire de Bundesbank de
façon à ce que cela permette à l’Hexagone d’exercer une influence
prépondérante. Comme la monnaie unie était la condition de la France pour la
réunification allemande après la chute du mur de Berlin, le pays a accepté. 20
ans plus tard, le rôle de l’Allemagne a changé, ainsi que la situation
économique en Union européenne. Surévaluation, baisse des salaires et de la
croissance, divergences économiques entre Etats membres, impossibilité d’ajuster
les déséquilibres commerciaux : la monnaie unique présente une catastrophe
économique pour tous les Etats membres, surtout, pour les économies dites « à
risque ».
En tant que membre de la zone euro, la France ne
peut pas régler ses problèmes par elle-même, mais doit se résigner aux
standards et aux exigences souvent dictés à la Commission européenne par la «
locomotive allemande ». Ainsi, pour éviter une récession profonde, le pays doit
soit influencer la politique allemande, soit rétablir sa souveraineté
monétaire.
La France ne serait pas la première à revenir à la
monnaie nationale. A l’époque où les pays de l’Union européenne ratifiaient le
traité de Maastricht, la Tchécoslovaquie prenait le sens inverse. Après avoir
partagé une même monnaie pendant plusieurs années, deux Etats, tchèque et
slovaque, ont choisi d’introduire des monnaies nationales distinctes. La
situation actuelle rappelle cet exemple de 1993. Car les économies « à risque »
de la France, de l’Espagne et de l’Italie ne pourront éviter une catastrophe
qu’en menant des politiques monétaire et budgétaire indépendantes, adaptées aux
réalités économiques différentes des pays du continent européen. Quant à
l’euro, il pourrait déborder du cadre européen et constituer un concurrent du
dollar.
Source
http://french.ruvr.ru/radio_broadcast/5646129/280836697/,
3 décembre 2014
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