samedi 13 décembre 2014

Etre bourreau : un crime ou un travail ?


Le tristement célèbre traité médiéval le Marteau des sorcières a muni l'Inquisition, outre autres choses, de techniques de tortures toutes faites. Leur légitimité était garantie par la bulle du pape Innocent VIII Summis desiderantes affectibus (Désireux d'ardeur suprême) préfaçant cet ouvrage sinistre.

Qu'est-ce qui a changé depuis ? « Dans le monde moderne des actions semblables et des tortures inhumaines ne peuvent avoir aucune justification ». C'est la réaction du président d'Afghanistan Ashraf Ganhi à la récente publication du Rapport sur les tortures de la CIA.

Ce n'est pas un fait. Le dernier rapport annuel de la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye soupçonne d'actions similaires des membres des forces sécurité afghanes et des militaires américains en Afghanistan. Le renseignement militaire des Etats-Unis ne transférait peut-être pas ses prisonniers d'un bout du monde à l'autre, mais la liste des « techniques d'interrogatoires élargies » qu'il leur a appliquées reproduite dans le rapport de la CPI est à peu près la même que celle du rapport sénatorial sur la CIA. Il s'est avéré, en plus, que le renseignement disposait lui aussi d'une « bulle » promulguée par son commandement.

La chef de la commission du renseignement Dianne Feinstein qui a présenté le Rapport sur la torture a qualifié les actions de la CIA de « tache sur les valeurs et l'histoire de l'Amérique ». Cette tâche n'est pas unique. Y a-t-il quelqu'un en Amérique pour l'en débarrasser ?

N'importe qui, sauf le tribunal. Ainsi le rapport signale que le Programme d'arrestations et d'interrogatoires de la CIA a causé un préjudice au prestige des Etats-Unis et d'importantes pertes financières et autres. Mais ce programme est depuis longtemps fermé. Les défenseurs des droits de l'homme affirment que le rapport du Sénat fournit suffisamment d'informations nouvelles pour rouvrir des dossiers judiciaires. Contre qui ? Les agents des services secrets portent dans le rapport des noms d'emprunt et personne n'a l'intention de les dévoiler.

Tout est clair avec les agents secrets. Mais la Cour pénale sera-t-elle plus sévère envers les militaires américains? C'est douteux. D'abord, tous les Etats de l'OTAN impliqués dans la guerre en Afghanistan ont refusé d'aider la CPI dans l'investigation de ces affaires. Ensuite, la CPI ne juge pas, elle envoie des requêtes dans des pays concernés. Mais là, les criminels de guerre sont punis très rarement. Selon le ministère de la Défense de Grande-Bretagne, en 2012 sur 126 dossiers sur les crimes commis par des soldats britanniques contre la population civile depuis janvier 2005 seuls 8 ont été examinés par le tribunal.

Les Britanniques ont laissé beaucoup de trace en Irak aussi. Au début de 2014 la CPI a envoyé dans des tribunaux de Grande-Bretagne 85 dossiers sur les tortures systématiques de plus de 500 Irakiens. Le 17 septembre la CPI a reçu l'information sur 372 autres cas de violences contre les prisonniers, mais aussi sur les meurtres présumés d'au moins 16 citoyens irakiens par des militaires britanniques. Résultat : de très lentes enquêtes sur quelques crimes les plus retentissants.

La situation avec les Américains est pire encore. Le directeur régional d'Amnesty International Richard Bennett a déclaré en août : « Les militaires américains n'ont été traduits en justice dans aucune affaire que nous avons étudiée. Il paraît que les informations sur les crimes de guerre et les assassinats illégaux sont restées sans suite ».

Si même la CPI parvient à contraindre les tribunaux américains à s'occuper des relations entre les militaires américains et les prisonniers afghans et irakiens, tout sera vain, car aux Etats-Unis les tortures ne sont pas considérées comme telles. Si pratiquement toutes les techniques d'interrogatoire de la CIA, la simulation de noyade comprise, ont été autorisées par le ministère américain de la Justice, les militaires avaient leur propre Marteau des sorcières : l'instruction sur la procédure d'interrogatoire validée par le commandement suprême.

Peut-être tout est, en effet, dans le passé. Mais pour l'avenir aussi les militaires américains possèdent une indulgence garantie contre des péchés possibles. Notamment l'accord bilatéral avec l'Afghanistan en matière de sécurité. Il est curieux qu'une fois cet accord signé, les Etats-Unis ont aussitôt annoncé que leurs instructeurs et conseillés laissés en Afghanistan seraient complétés d'un groupe peu nombreux des forces d'opérations spéciales « afin de poursuivre la lutte contre Al-Qaïda. Le président d'Afghanistan a déclaré pour anticiper sur les questions à ce sujet : « En se basant sur l'accord bilatéral avec les Etats-Unis en matière de sécurité, après la fin de cette année, c'est-à-dire dans 21 jours, personne ne pourra faire des prisonniers ou d'organiser des prisons en Afghanistan ». Une réserve à ajouter : personne ne pourra vérifier si ces conditions sont respectées. C'est ainsi qu'il est écrit dans l'accord.

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