dimanche 7 décembre 2014

Le Pape entre vérité et diplomatie


Les déclarations du pape en Turquie ont choqué les réfugiés syriens. Le chef de l’Eglise catholique a en effet remercié Ankara pour l’aide apportée sans faire allusion à son contexte. Or, la fuite des populations a été provoquée par le soutien militaire, notamment turc, aux djihadistes. En outre, la situation des réfugiés menace de tourner à la catastrophe après l’arrêt, le 1er décembre, de l’aide alimentaire mondiale. L’Onu entend ainsi sanctionner les réfugiés, dont il s’avère, depuis l’élection présidentielle syrienne de juin, que loin d’être opposés à la République arabe syrienne, ils la soutiennent majoritairement.

« Aujourd’hui on dit que beaucoup de choses ne peuvent pas se faire parce que l’argent manque. Et pourtant on trouve de l’argent pour acheter des armes, on en trouve pour faire les guerres » : cette affirmation du pape François a été ignorée par les milieux gouvernementaux italiens et occidentaux, qui taisent le fait que la dépense militaires mondiale (environ 1 750 milliards de dollars annuels selon le Sipri) est entraînée par celle des USA et de l’Otan (plus de 1 000 milliards de dollars annuels, auxquels il faut ajouter d’autres dépenses à caractère militaire).

Pratiquement ignorée, dans ces mêmes milieux, l’affirmation du pape qui sonne indirectement comme une critique au système capitaliste : « Nous sommes en train de vivre une Troisième Guerre mondiale par morceaux, par chapitres », derrière laquelle se trouvent des problèmes politiques et économiques corrélés à la tentative de « sauver ce système où le Dieu argent est au centre ».

Un relief particulier a par contre été donné, à Rome et dans les autres capitales occidentales, au fait que le pape, arrivé à Ankara, a exprimé son appréciation pour « le rôle important de la Turquie dans l’aire moyen-orientale, en en soulignant notamment l’engagement humanitaire pour l’accueil des réfugiés fuyant les zones de conflit ». Le pape avait agi identiquement quand, à Amman, il avait remercié le royaume jordanien pour « le généreux accueil fait aux réfugiés irakiens et provenant d’autres zones de crise, en particulier de la Syrie voisine, emportée par un conflit qui dure depuis trop longtemps », en encourageant la Jordanie à « continuer à s’engager dans la recherche de la paix désirée pour toute la région ».

Ces déclarations qui font les louanges (probablement sur la base d’un calcul diplomatique) du rôle de la Turquie et de la Jordanie dans la région moyen-orientale et de leur engagement en faveur de réfugiés, se prêtent à être un instrument utile dans la campagne conduite par les gouvernements et par les médias occidentaux pour mystifier la réalité. Ce n’est pas un hasard si le président Giorgio Napolitano, dans son message à la veille du départ du pape pour la Turquie, souligne « le rôle crucial qu’Ankara est appelé à jouer dans une région secouée par de fortes tensions et de sanglants conflits ».

En réalité la Turquie et la Jordanie constituent les avant-postes de l’opération militaire des USA et de l’Otan, dont le vrai objectif n’est pas la destruction de l’Émirat islamique, fonctionnel à cette stratégie, mais la démolition de l’État syrien (après le yougoslave et le libyen), la reconquête de l’Irak (éventuellement en le démembrant pour pouvoir mieux le contrôler) et en perspective l’attaque de l’Iran. Comme le documentent aussi des enquêtes du New York Times et du Guardian, en Turquie et en Jordanie la CIA a ouvert des centres de formation militaire où sont entraînés des groupes islamiques (auparavant définis comme terroristes par Washington) provenant d’Afghanistan, de Libye et d’autres pays, à infiltrer en Syrie ; y compris les groupes qui ont formé l’ÉI en Syrie, avant de lancer l’offensive en Irak. Les armes arrivent surtout via l’Arabie Saoudite et le Qatar.

En Turquie —où l’Otan a plus de vingt bases aériennes, navales et d’espionnage électronique— a été transféré le Landcom, le commandement allié des forces terrestres des 28 pays membres de l’Otan, y compris donc des forces turques ; il a été activé à Smyrne, d’où il dirige les opérations en Syrie et en Irak.

En Jordanie —d’après l’Associated Press — ont été formées, dans un programme CIA d’entraînement de deux années, les forces rebelles appuyées par les États-Unis qui opèrent conjointement avec la branche d’Al Qaeda en Syrie.

En provoquant d’autres vagues de réfugiés qui bénéficieront du « généreux accueil » de la Turquie et de la Jordanie.

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