samedi 3 janvier 2015

Les négociations secrètes de Washington, La Havane et Téhéran


L’annonce du rétablissement des relations diplomatiques de Washington avec La Havane préfigure celui des relations avec Téhéran. Les États-Unis n’ont pas abandonné leur ambition impérialiste et ces deux États n’ont pas renoncé à leur idéal révolutionnaire. Cependant, pragmatique, Washington reconnaît que Cuba et l’Iran ne seront pas vaincus par l’isolement diplomatique et la guerre économique. Il se prépare à un autre type d’affrontement.

L’annonce simultanée par Barack Obama et Raúl Castro du rétablissement des relations diplomatiques entre les États-Unis et Cuba a beaucoup surpris en Europe. Comme à l’habitude, Washington négociait en secret avec son adversaire, tout en imposant à l’Union européenne des sanctions qu’il s’empressera de lever le premier, à son avantage.

Depuis deux ans, le président Obama tente d’apaiser les conflits qui opposent son Empire aux États qui lui résistent : Cuba en Amérique latine, l’Iran au « Moyen-Orient élargi ». En effet, force est de constater que les sanctions unilatérales —véritables actes de guerre économique— prises par Washington et étendues par lui à ses alliés ne fonctionnent pas. Cuba, comme la République islamique d’Iran, ont considérablement souffert, mais n’ont pas cessé de résister.

Un demi-siècle de lutte

Durant la Guerre froide, Cuba se mobilisa contre la politique d’apartheid que l’Afrique du Sud entendait étendre à ses voisins. Le régime blanc de Prétoria était alors soutenu par les États-Unis et Israël. L’armée cubaine se déploya en Angola et en Namibie jusqu’à la conclusion d’un accord de paix en 1988. Fidel Castro fut ainsi en mesure de faire échec à une idéologie divisant l’humanité en deux : les maîtres et les esclaves. Il fallu cependant attendre encore trois ans pour que le régime d’apartheid sud-africain soit démantelé et que Nelson Mandela devienne le président du Peuple sud-africain réunifié.

Identiquement, la République islamique d’Iran se mobilisa contre la politique d’apartheid qu’Israël entend étendre chez ses voisins. Le régime sioniste de Tel-Aviv est soutenu, depuis sa proclamation illégale en 1948, par les États-Unis et le Royaume-Uni. Il revendique toute la terre du Nil à l’Euphrate. L’Iran soutient la Syrie, le Hezbollah et les organisations de la Résistance palestinienne. Sous le président Mahmoud Ahmadinejad, les États-Unis et Israël ont essuyé de nombreuses défaites, notamment au Liban, en Palestine, en Syrie et au Yémen.

Les liens entre l’Afrique du Sud et Israël ont été abondamment documentés. Les deux États ont la même origine : l’Afrique australe fut organisée par le diamantaire Cecil Rhodes —le théoricien de l’« impérialisme germanique », tandis qu’Israël fut porté par un disciple de Rhodes, Theodor Herzl, qui suivit en tous points le modèle rhodésien. En 2002, la Reine Elizabeth censura la publication des correspondances entre Rhodes et Herzl, dont on ne connaît donc que la lettre reproduite par ce dernier dans un de ses ouvrages.

Les liens entre la Révolution cubaine et la Révolution islamique sont ténus. Certes, Ali Shariati, le penseur qui prépara la révolution iranienne, était le traducteur de Che Guevara en persan. Mais, jamais les deux États ne nouèrent de liens politiques significatifs. J’ai été surpris de constater leur méconnaissance mutuelle en discutant avec les dirigeants respectifs. Il est vrai qu’il existe des différences culturelles qui rendent les contacts difficiles : la société cubaine est ultra-permissive sexuellement, tandis que la société iranienne (bien avant la Révolution islamique) est au contraire ultra-protectrice en ce domaine.

Deux États révolutionnaires

Il est évident que les intérêts des États-Unis d’une part, et de Cuba et de l’Iran d’autre part, sont et resteront inconciliables. Il ne peut y avoir de compromis entre impérialisme et nationalisme. Cependant, cette situation n’empêche pas la conclusion de cessez-le-feu régionaux. La reprise des relations diplomatiques ne signifie d’ailleurs pas la levée complète des « sièges économiques », ce que Washington appelle des « sanctions », comme s’il s’agissait toujours de punitions décidées par le Conseil de sécurité.

Actuellement, Cuba est considéré par la gauche européenne comme une dictature, mais l’île est, au contraire, reconnue par la gauche latino-américaine comme un exemple de Résistance. Fidel Castro jouit d’une aura de libérateur et exerce une attraction sur tout le continent.

Identiquement, la République islamique d’Iran est considérée comme un régime moyen-âgeux par la gauche européenne, tandis qu’elle est l’allié indispensable de tout mouvement de Résistance au « Moyen-Orient élargi ». Cependant, si Mahmoud Ahmadinejad jouissait d’une vaste popularité, le Guide suprême Ali Khamenei est moins connu à l’étranger.

Dans les deux cas, ces États ont été victimes de leur image. Ainsi Cuba est qualifié de « communiste », mais Fidel Castro ne l’était pas avant sa victoire. C’est son frère Raúl qui militait au Parti communiste. De même Che Guevara était opposé au modèle économique soviétique et l’a écrit avant de démissionner de ses fonctions de ministre de l’Industrie, puis de partir se battre aux côtés de Laurent-Désiré Kabila au Congo.

L’Iran s’étant proclamé République islamique, on comprend généralement qu’elle est de religion musulmane. Mais Ali Shariati assurait que l’islam est un processus révolutionnaire et que tous les révolutionnaires du monde entier sont musulmans, dès lors qu’ils luttent pour la Justice. Au demeurant, l’Iran chiite intervint également en Afrique et soutint… le chrétien Laurent-Désiré Kabila lorsqu’il arriva au pouvoir.

Dans les deux cas, l’Histoire retiendra qu’il s’agissait d’États révolutionnaires. Mais les révolutions, lorsqu’elles ont lieu et lorsqu’elles réussissent à émanciper les hommes, ne sont approuvées que lorsqu’elles sont terminées et ne menacent plus aucun privilège.

La stratégie de Washington

Pour les États-Unis, il y avait à la fois urgence et une occasion de suspendre leurs conflits avec les Résistances cubaine et iranienne. Le réinvestissement états-unien en Amérique latine et le déplacement des troupes états-uniennes du « Moyen-Orient élargi » vers l’Extrême-Orient se trouvaient bloqués. En outre, une solution devait intervenir avant le Sommet des Amériques. En effet, sous l’impulsion de Rafaël Correa, le Panama qui accueille le Sommet avait invité Cuba, pour la première fois. Barack Obama allait donc rencontrer son adversaire Raúl Castro. Sans parler du fait, extrêmement préoccupant pour les militaires états-uniens, de la réouverture d’une base d’espionnage électronique russe à Lourdes (au sud de La Havane). De la même manière, les États-Unis ne peuvent espérer créer trois États indépendants en Irak sans l’assentiment iranien.

Dernière remarque : le cessez-le-feu avec Washington est particulièrement dangereux. Les États-Unis ne vont pas cesser de chercher à déstabiliser ces États révolutionnaires, mais ils vont désormais le faire avec un accès à l’intérieur. Ni Cuba, ni l’Iran ne pourront désormais surveiller les nombreux États-uniens qui viendront chez eux, pour du business ou du tourisme. La CIA ne manquera pas, dans les deux ans à venir de tenter des révolutions colorées.

En cela, la reprise des relations diplomatiques entre Washington et La Havane préfigure celle entre Washington et Téhéran.

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