mardi 2 juin 2015

Les vrais extraterrestres


Reptiliens intelligents, mangeurs de silicium... Les auteurs de science-fiction ne manquent pas d'imagination quand il s'agit de deviner à quoi ressemblent les extraterrestres. Mais la réalité a-t-elle déjà dépassé leur fantaisie?

Au début des années 2000, lors d'une vérification de routine du quatrième réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl par un robot, les inspecteurs ont découvert sur les parois intérieures du sarcophage l'apparition d'un dépôt noir étrange. Les échantillons de ce dépôt prélevé par le robot ont été envoyés au laboratoire, qui a obtenu des résultats surprenants: en regardant de plus près, ce dépôt s'est révélé vivant. Plus précisément, il s'agissait de moisissure Cladosporium sphaerospermum.

Sa couleur radicalement noire est due au pigment de mélanine, le même qui fonce la peau des hommes. Les chercheurs ont supposé que le champignon aurait pu "bronzer" pour la même raison que les hommes — pour se protéger des rayonnements, d'autant que depuis quinze ans les chercheurs de l'Institut de microbiologie et de virologie Zabolotny de Kiev étudient des colonies de champignon avec une quantité de mélanine accrue présentes dans les sols autour du sarcophage. Cependant, l'affaire s'est révélée bien plus insolite.

Les champignons de Tchernobyl

En 2007, un groupe de chercheurs du collège de médecine Albert Einstein de New York a publié dans la revue scientifique PLOS One un article intitulé "Le rayonnement ionisant modifie les propriétés électriques de la mélanine et accélère la croissance des champignons mélanisés", dont les conclusions sont vraiment sensationnelles. Les chercheurs ont effectué des tests sur des champignons contenant de la mélanine Wangiella dermatitidis, Cryptococcus neoformans et les Cladosporium sphaerospermum de Tchernobyl, pour découvrir qu'ils ne résistaient pas simplement au rayonnement ionisant néfaste, mais grandissaient plus rapidement sous l'impact de la radiation!

Une augmentation du niveau de radiation de 500 fois a fait tripler l'accroissement de la biomasse (en comparaison avec les champignons des mêmes espèces non irradiés et non mélanisés). Et les Cladosporium sphaerospermum de Tchernobyl ont montré un effet encore plus intéressant: la radiation accélérait leur croissance même quand la quantité de matière nutritive était restreinte. On ignorait d'abord si la moisissure avait appris à utiliser le rayonnement gamma, comme les plantes utilisent la lumière pour la photosynthèse (ou plus exactement "radiosynthèse"), ou utilisait simplement l'énergie de l'ionisation pour accélérer sa nutrition hétérotrophe normale.

Une radiation comestible

Plusieurs laboratoires scientifiques ont immédiatement commencé à étudier la moisissure. Comme le dévoile l'étude du laboratoire national américain de Savannah River publiée dans le magazine Bioelectrochemistry, "le rayonnement gamma interagit avec la mélanine en modifiant son potentiel oxydo-régénérateur et produit de l'électricité". Visiblement, le champignon parvient donc à utiliser l'énergie de la radiation, même si le détail des processus moléculaires à l'œuvre reste inconnu pour l'instant.

Vers les étoiles

Si ces conclusions étaient confirmées, elles pourraient avoir des conséquences très importantes tant pour la recherche fondamentale qu'appliquée. Surtout, cela pourrait complètement changer notre vision de domaines comme les voyages spatiaux lointains.

Après tout, cette découverte raye l'exigence de se trouver dans une zone habitable de la liste des conditions pour le développement de la vie.

Depuis longtemps, ces affirmations suscitent de sérieux doutes, notamment après la découverte d'écosystèmes autour des monts hydrothermaux, également appelés fumeurs noirs. La photosynthèse y est impossible à cause des ténèbres éternelles et la base de la chaîne alimentaire se compose donc de bactéries qui opèrent une chimiosynthèse. Les bactéries obtiennent de l'énergie en oxydant les produits chimiques émis par la source, comme l'hydrogène sulfuré. Il serait donc raisonnable de chercher de tels écosystèmes dans les océans glacés d'Europe, satellite de Jupiter.

Cependant, les limites de la chimiosynthèse sont flagrantes: le combustible chimique a la propriété de s'épuiser rapidement — parfois plus vite que les habitants n'arrivent à évoluer et produire l'électrification ou des fusées pour s'envoler avant qu'il ne soit trop tard. Sans oublier que les sources hydrothermales nécessitent une activité volcanique qui n'est pas toujours présente: sur Europe elle l'est très probablement, mais pas sur Mars. Alors que la radiation ne demande pas du tout la présence d'une planète!

Des vaisseaux vivants

Ces réflexions nous mènent au concept de "vaisseau vivant", bien illustré par le vaisseau Lexx de la série éponyme, qui montre les avantages de cette approche — notamment la capacité à se régénérer et à se reproduire. Comme nous le voyons, la nature a déjà avancé dans la bonne direction. Les parois des champignons sont recouvertes de chitine — un excellent matériau structurel (les crustacés, les insectes et les arachnides ne diront pas le contraire).

Les cosmonautes du futur pourraient très bien avoir besoin d'un matériau capable de s'auto-réparer en cas de dommages, de se multiplier par des spores, de construire de nouvelles sections avec des débris et des déchets spatiaux en vol, en plus de nourrir l'équipage (si une partie de la biomasse était comestible). Et même avoir des fonctions médicales grâce à une activité antibiotique naturelle! Mais qui commanderait à bord — des hommes… ou une moisissure développée dans le mycélium de laquelle dorment encore les instincts d'un conquérant de l'espace?

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