Camille Flammarion (1842
– 1925) fut, de son temps, l’un des plus éminents astronomes. Au cours de sa
passionnante carrière, il a écrit un grand nombre d’ouvrages de vulgarisation
scientifique. Il s’intéressa également au spiritisme auquel il donna ses
lettres de noblesse.
Le chercheur
français publia un ouvrage dans lequel il aborda le sujet très controversé de
la fin des temps, intitulé « La
fin du monde » (publié en 1894). Dans ce dernier, l’homme raconte
comment l’humanité fera face à la destruction de la planète par une comète. Le
scientifique prend également soin d’aborder le thème de l’Apocalypse d’un point
de vue historique et religieux.
Extrait :
L’étrange visiteur était descendu lentement des
profondeurs infinies. Au lieu d’apparaître brusquement, tout d’un coup, ce qui
plus d’une fois a été observé pour les grandes comètes, soit lorsque ces astres
arrivent subitement en vue de la Terre, après leur passage au périhélie, soit
lorsqu’une longue série de nuits nuageuses ou illuminées par la Lune a interdit
l’observation du ciel aux chercheurs de comètes, la flottante vapeur sidérale
était restée d’abord dans les espaces télescopiques, observée seulement par les
astronomes. Dans les premiers jours qui suivirent sa découverte, elle n’était
encore accessible qu’aux puissants équatoriaux des observatoires. Mais le
public instruit n’avait pas tardé à la chercher lui-même.
La comète était arrivée en vue de la Terre. Une nuit
de nouvelle lune, par un ciel admirablement pur, quelques vues particulièrement
perçantes étaient parvenues à la distinguer à l’œil nu, non loin du zénith,
vers les bords de la Voie lactée, au sud de l’étoile omicron d’Andromède, comme
une pâle nébulosité, comme une très légère bouffée de fumée, toute petite, à
peine allongée dans une direction opposée au Soleil, allongement gazeux
dessinant une queue rudimentaire. C’est, du reste, sous cet aspect qu’elle se
présentait au télescope depuis sa découverte. Personne n’eût pu soupçonner, à
cet aspect inoffensif, le rôle si tragique que ce nouvel astre allait jouer
dans l’histoire de l’humanité. Le calcul seul indiquait alors sa marche vers la
Terre.
Mais l’astre mystérieux avançait vite. Le lendemain
déjà, la moitié des chercheurs arrivait à l’apercevoir, et, le surlendemain, il
n’y avait plus que les vues basses aux binocles insuffisants qui attendaient
encore. En moins d’une semaine, tous les regards l’avaient reconnue. Sur toutes
les places publiques, dans toutes les villes, dans tous les villages, on ne voyait
que des groupes cherchant la comète ou la montrant.
Elle grandissait de jour en jour. Les instruments
commencèrent à faire paraître en elle un noyau distinct assez lumineux, qui
était l’objet de dissertations affolées. Puis la queue se partagea lentement en
rayons divergeant du même noyau et prit insensiblement la forme d’un éventail.
L’émotion envahissait déjà ‘soutes les pensées, lorsque, après le premier
quartier de la lune et pendant les jours de la pleine lune, la comète parut
rester stationnaire et même perdre de son éclat.
Mais, ô stupéfaction, lorsque, la nuit tombée, tous
les regards étaient levés au ciel pour chercher l’astre flamboyant, ce n’est
point une comète qu’ils eurent devant eux, une comète classique comme on a
l’habitude de les voir : ce fut une aurore boréale d’un nouveau genre, une
sorte d’éventail céleste prodigieux, à sept branches, lançant dans l’espace
sept rayons verdâtres paraissant sortir d’un foyer caché au-dessous de
l’horizon.
Pour tout le monde, il n’y avait aucun doute que
cette aurore boréale fantastique ne fut la comète elle-même, d’autant plus
qu’on ne pouvait apercevoir l’ancienne comète en aucun point du ciel étoilé.
L’apparition différait singulièrement, il est vrai, des formes cométaires
connues, et l’aspect rayonnant du mystérieux visiteur était ce qu’il y avait au
monde de plus inattendu.
LE CONCILE DU
VATICAN
L’affliction sera si grande que jamais on n’en aura
vu de pareille depuis le commencement du monde.
Jésus-CHRIST, Évangiles (Matthieu, XXIV).
Un concile œcuménique de tous les évêques avait été
depuis longtemps convoqué par le Souverain Pontife Pie XVIII, pour voter
l’adoption d’un nouvel article de foi destiné à compléter celui de
l’infaillibilité papale, proclamé en 1870, ainsi que les trois autres ajoutés
depuis. Il s’agissait cette fois de la divinité du pape.
L’âme du pontife romain, élu par le conclave sous
l’inspiration directe de l’Esprit-Saint, devait être déclarée participer aux
attributs de l’Être éternel, ne pouvoir faillir à dater de son sacerdoce papal,
non seulement dans les décisions théologiques ex cathedra, mais encore dans
toutes les affaires purement humaines, et appartenir de plein droit à
l’immortalité paradisiaque des saints qui environnent immédiatement le trône de
Dieu et qui partagent la gloire du Très-Haut. Un certain nombre de prélats
modernes, il est vrai, ne considéraient la religion qu’au point de vue du rôle
social qu’elle peut remplir dans l’œuvre de la civilisation.
Aux premiers
siècles du christianisme, le titre honorifique donné au pape avait été « Votre
Apostolat » ; plus tard, on avait substitué à ce titre antique celui de « Votre
Sainteté » ; désormais on devait dire : « Votre Divinité ». L’ascension du
titre s’était continuée jusqu’au zénith.
Mais les pontifes de l’ancienne école admettaient
encore la Révélation, très sincèrement, et les derniers papes, entre autres,
avaient tous été de véritables modèles de sagesse, de vertu et de sainteté. Le
concile avait été avancé d’un mois à cause de la menace cométaire ; car on
espérait que la solution théologique de la question répandrait une vive lumière
dans l’âme agitée des fidèles, et peut-être apporterait le calme parfait dans
les consciences pacifiées.
Le patriarche de Jérusalem, homme de grande piété et
de foi profonde, avait pris le premier la parole. Il s’était exprimé en latin ;
mais voici la traduction fidèle de ses paroles.
« Vénérés Pères, je ne puis agir plus sagement que
d’ouvrir devant vous les saints Évangiles. Permettez-moi de lire textuellement
:
« Lorsque vous verrez que l’abomination de la
désolation, qui a été prédite par le prophète Daniel, sera dans le lieu saint,
que celui qui lit, comprenne ; que ceux qui seront dans la Judée s’enfuient
vers les montagnes ; que celui qui sera sur son toit n’en descende point pour
emporter quelque chose de sa maison ; et que celui qui sera dans son champ ne
retourne point pour prendre ses vêtements.
« Malheur aux femmes qui seront enceintes ou
nourriront leurs enfants ! Priez alors que cela n’arrive pas pendant l’hiver ni
au jour du Sabbat ; car l’affliction sera si grande que jamais on n’en aura vu
de pareille depuis le commencement du monde.
« Si Dieu n’eût abrégé ces jours de désolation,
aucune chair n’eût échappé à la destruction ; mais il les abrégera à cause de
ses élus.
« … Comme un éclair qui sort de l’Orient parait tout
d’un coup jusqu’à l’Occident, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme.
« Le Soleil s’obscurcira, la Lune ne donnera plus sa
lumière, les étoiles tomberont du ciel, les fondations des cieux seront
ébranlées.
« Alors on verra le Fils de l’homme venir sur les
nuées dans toute sa gloire, et il enverra ses anges, qui feront entendre la
voix éclatante de leurs trompettes, et qui rassembleront ses élus des quatre
coins du monde, depuis une extrémité de l’horizon jusqu’à l’autre. »
« Telles sont, mes vénérables frères, les paroles de
Jésus-Christ. »
« Et le Seigneur a pris soin d’ajouter :
« “En vérité, je vous le dis, il y en a quelques uns
de ceux qui sont ici qui n’éprouveront point la mort, qu’ils n’aient vu le Fils
de l’homme venir en son règne. Cette génération ne passera pas que ces choses
ne soient arrivées.”
« Ces paroles sont prises textuellement dans les
saints Évangiles. Vous savez que sur ce point les évangélistes sont unanimes.
« Vous savez aussi, révérendissimes Pères, que
l’Apocalypse de saint Jean expose en termes plus tragiques encore la grande
catastrophe finale. Mais les saintes Écritures sont connues de chacun de vous
mot par mot, et il me semblerait superflu, sinon même déplacé, devant
l’érudition qui m’écoute, d’ajouter ici des citations que vous avez tous sur
les lèvres.»
Tel fut l’exorde du discours du patriarche de
Jérusalem.
LA CROYANCE À
LA FIN DU MONDE À TRAVERS LES ÂGES
C’est ici le lieu de faire une pause d’un instant,
au milieu des événements précipités qui nous envahissent, de comparer cette
nouvelle attente de la fin du monde à toutes celles qui l’ont précédée, et de
passer rapidement en revue la curieuse histoire de l’idée de la fin du monde à
travers les âges.
Cette histoire est curieuse, car elle représente en
même temps l’histoire de la pensée humaine en face de sa propre destinée
définitive. Nous croyons intéressant de l’exposer ici en un chapitre spécial.
Zoroastre et le Zend-Avesta enseignaient que le
monde devait périr par le feu. On trouve la même idée dans l’épître de saint
Pierre. Il semblait que, les traditions de Noé et de Deucalion indiquant qu’une
première destruction de l’humanité avait été opérée par le déluge, la seconde
devait l’être par un procédé contraire.
Chez les Romains, Lucrèce, Cicéron, Virgile, Ovide
tiennent le même langage et annoncent la destruction future de la Terre par le
feu.
Nous avons vu au chapitre précédent que, dans la
pensée même de Jésus, la génération à laquelle il parlait ne devait pas mourir
avant que la catastrophe annoncée fut accomplie. Saint Paul, le véritable
fondateur du christianisme, présente cette croyance en la résurrection et en la
prochaine fin du monde comme un dogme fondamental de la nouvelle Église. Il y
revient jusqu’à huit et neuf fois dans sa première épître aux Corinthiens.
Malheureusement pour la prophétie, les disciples de
Jésus, auxquels il avait assuré qu’ils ne mourraient pas avant son avènement,
succombèrent les uns après les autres sous la loi commune. Saint Paul, qui
n’avait pas connu personnellement Jésus, mais qui était l’apôtre le plus
militant de l’Église naissante, croyait vivre lui-même jusqu’à la grande
apparition. Mais, naturellement, tous moururent, et la fin du monde annoncée,
l’avènement définitif du Messie, n’arriva pas.
La croyance ne disparut pas pour cela. Il fallut
donc cesser de prendre à la lettre la prédiction du Maître et chercher à en
interpréter l’esprit. Mais il n’y en eut pas moins là un grand coup de porté à la
croyance évangélique. On ensevelissait pieusement les morts, on les couchait
avec vénération dans le cercueil au lieu de les laisser se consumer par le feu,
et l’on écrivait sur leurs tombes qu’ils dormaient là en attendant la
résurrection. Jésus devait revenir « bientôt » juger « les vivants et les morts
». Le mot de reconnaissance des chrétiens était Maranatha, « le Seigneur va
venir ».
Saint Augustin consacre le XX° livre de sa Cité de
Dieu (en l’an 426) à peindre le renouvellement du monde, la résurrection, le
jugement dernier et la Jérusalem nouvelle ; son XXIe livre est appliqué à la
description du feu éternel de l’enfer.
Saint. Grégoire, évêque de Tours (573), le premier
historien des Francs, commence son histoire en ces termes :
« Au moment de retracer les luttes des rois avec les
nations ennemies, j’éprouve le désir d’exposer ma croyance. L’effroi produit
par l’attente prochaine de la fin du monde me décide à recueillir dans les
chroniques le nombre des années déjà passées, afin que l’on sache clairement
combien il s’en est écoulé depuis le commencement du monde. »
LE CHOC
Inexorablement, comme une loi du destin que nulle
puissance ne peut fléchir, comme un boulet sorti de la gueule du canon et
marchant vers la cible, la comète avançait toujours, suivant son orbite
régulière et se précipitant avec une vitesse croissante vers le point de
l’espace où notre planète devait arriver dans la nuit du 13 au 14 juillet. Les
calculs définitifs ne s’étaient pas trompés d’un iota. Les deux voyageurs célestes,
la Terre et la comète allaient se rencontrer, comme deux trains lancés l’un
vers l’autre au fantastique et aveugle galop de la vapeur, et qui vont à corps
perdu s’effondrer et se broyer dans le choc monstrueux de deux rages
inassouvies.
Mais ici la vitesse de la rencontre devait être 863
fois supérieure à celle de la rencontre de deux trains rapides lancés l’un sur
l’autre à la vitesse de cent kilomètres à l’heure chacun. Dans la nuit du 12 au
13 juillet, la comète se développa sur presque toute l’étendue des cieux, et
l’on distinguait à l’œil nu des tourbillons de feu roulant autour d’un axe
oblique à la verticale. Il semblait que ce fût là toute une armée de météores
en conflagrations désordonnées dans lesquelles l’électricité et les éclairs
devaient livrer de fantastiques combats. L’astre flamboyant paraissait tourner
sur lui-même et s’agiter intestinement comme s’il eût été doué d’une vie propre
et tourmenté de douleurs.
D’immenses jets de feu s’élançaient de divers
foyers, les uns verdâtres, d’autres d’un rouge sang, les plus brillants
éblouissant tous les yeux par leur éclatante blancheur. Il était évident que
l’illumination solaire agissait sur le tourbillon de vapeurs, décomposant sans
doute certains corps, produisant des mélanges détonants, électrisant les
parties les plus. proches, repoussant des fumées au delà de la tête immense qui
arrivait sur nous ; mais l’astre lui-même émettait des feux bien différents de
la réflexion vaporeuse de la lumière solaire, et lançait des flammes toujours
grandissantes, comme un monstre se précipitant sur la Terre pour la dévorer par
l’incendie. Ce qui frappait peut-être le plus encore en ce spectacle, c’était
de ne rien entendre : Paris et toutes les agglomérations humaines se taisaient
instinctivement cette nuit-là, comme immobilisés par une attention sans égale,
cherchant à saisir quelque écho du tonnerre céleste qui s’avançait et nul bruit
n’arrivait du pandémonium cométaire.
La pleine lune brillait, verte dans la rouge
fournaise, mais sans éclat et ne donnant plus d’ombres. La nuit n’était plus la
nuit. Les étoiles avaient disparu. Le ciel restait embrasé d’une lueur intense.
Déjà plusieurs nuits entières avaient été passées
sans sommeil, la terreur de l’inconnu ayant tenu toutes les pensées éveillées.
Personne n’avait osé se coucher : il semblait qu’on eût dû s’endormir du
dernier sommeil et ne plus connaître le charme du réveil… Tous les visages
étaient d’une pâleur livide, les orbites creusées, la chevelure inculte, les
yeux hagards, le teint blafard, marqués des empreintes de la plus effroyable
angoisse qui eût jamais pesé sur les destinées humaines.
À Paris, à Londres, à Rome, à Berlin, à
Saint-Petersbourg, dans toutes les capitales, dans toutes les villes, dans tous
les villages, les populations agitées erraient au dehors, comme on voit les
fourmis courir éperdues dans leurs cités troublées. Toutes les affaires de la
vie normale étaient négligées, abandonnées, oubliées ; tous les projets étaient
anéantis. On ne tenait plus à rien, ni à sa maison, ni à ses proches, ni à sa
propre vie. C’était une dépression morale absolue, plus complète, encore que
celle qui est produite par le mal de mer.
Les églises catholiques, les temples réformés, les
synagogues juives, les chapelles grecques et orthodoxes, les mosquées
musulmanes, les coupoles chinoises bouddhistes, les sanctuaires des évocations
spirites, les salles d’études des groupes théosophiques, occultistes,
psychosophiques et athroposophiques, les nefs de la nouvelle religion
gallicane, tous les lieux de réunion des cultes si divers, qui se partageaient
encore l’humanité, avaient été envahis par leurs fidèles en cette mémorable
journée du vendredi 13 juillet, et, à Paris même, les masses entassées sous les
portails ne permettaient plus à personne d’approcher des églises, à l’intérieur
desquelles on aurait pu voir tous les croyants prosternés la face contre terre.
Des prières étaient marmottées à voix basse. Mais les chants, les orgues, les
cloches, tout se taisait. Les confessionnaux étaient enveloppés de pénitents
attendant leur tour, comme en ces anciennes époques de foi sincère et naïve
dont parlent les histoires du moyen âge.
Dans les rues, sur les boulevards, partout même
silence. On ne criait plus, on ne vendait plus, on n’imprimait plus aucun
journal. Dans les airs, aviateurs, aéronefs, hélicoptères, ballons dirigeables
avaient disparu. Les seules voitures que l’on vit passer étaient les
corbillards des pompes funèbres conduisant à l’incinération les premières
victimes de la comète, déjà innombrables.
La journée se passa sans incident astronomique. Mais
avec quelle anxiété n’attendait-on pas la nuit suprême !
Jamais peut-être coucher du soleil ne fut aussi
beau, jamais ciel ne fut aussi pur. L’astre du jour sembla s’ensevelir dans un
lit d’or et de pourpre. Son disque rouge descendit à l’horizon. Mais les
étoiles ne parurent pas. La nuit n’arriva pas. Au jour solaire succéda un jour
cométaire et lunaire, éclairé d’une lumière intense, rappelant celle des
aurores boréales, mais plus vive, émanant d’un large foyer incandescent, qui
n’avait pas brillé pendant le jour parce qu’il était au-dessous de l’horizon,
mais qui aurait certainement rivalisé d’éclat avec le Soleil.
Ce lumineux foyer se leva à l’Orient presque en même
temps que la pleine lune, qui parut monter avec lui dans le ciel comme une
hostie sépulcrale sur un autel funèbre, dominant le deuil immense de la nature.
À mesure qu’elle s’élevait, la lune pâlissait ; mais
le foyer cométaire grandissait en éclat avec l’abaissement du Soleil au-dessous
de l’horizon occidental, et maintenant, à l’heure de la nuit, il régnait sur le
monde, nébuleux soleil, rouge écarlate, avec des jets de flammes jaunes et
verts qui semblaient lui ouvrir une immense envergure d’ailes. Tous les regards
terrifiés ; voyaient en lui un géant démesuré prenant possession en souverain
du Ciel et de la Terre.
Un grand cri domina toutes les angoisses.
La terre brûle ! la terre brûle ! s’écriait-on
partout en une rumeur formidable…
Tout l’horizon, en effet, semblait allumé maintenant
d’une couronne de flammes bleuâtres. C’était bien, comme on l’avait prévu,
l’oxyde de carbone qui brûlait à l’air en produisant de l’anhydride carbonique.
Sans doute aussi, de l’hydrogène cométaire s’y combinait-il lentement. Chacun
croyait voir un feu funèbre autour d’un catafalque.
Soudain, comme l’Humanité terrifiée regardait,
immobile, silencieuse, retenant son souffle, pénétrée jusqu’aux moelles,
cataleptisée par la terreur, toute la voûte du ciel sembla se déchirer du haut
en bas, et, par l’ouverture béante, on crut voir une gueule énorme vomissant
des gerbes de flammes vertes, éclatantes ; et l’on fut frappé d’un
éblouissement si effroyable que tous les spectateurs, sans exception, qui ne
s’étaient pas encore enfermés dans les caves, hommes, femmes, vieillards,
enfants, les plus énergiques comme les plus timorés, tous se précipitèrent vers
la première porte venue, et descendirent comme des avalanches dans les
sous-sols, déjà presque tous envahis. Il y eut une multitude de morts, par
écrasement d’abord, ensuite par apoplexies, ruptures d’anévrismes et folies
subites dégénérées en fièvres cérébrales. La Raison sembla subitement anéantie
chez les hommes, et remplacée par la stupeur, folle, inconsciente, résignée,
muette.
Le noyau de la comète renfermait, noyés dans une
masse de gaz incandescent, un certain nombre de concrétions uranolithiques dont
quelques-unes mesuraient plusieurs kilomètres de diamètre. L’une de ces masses
avait atteint la Terre, non loin de Rome. Tous les cardinaux, tous les prélats du
concile étaient réunis à la fête solennelle donnée sous le dôme de Saint-Pierre
pour la célébration du dogme de la divinité pontificale.
On avait, fixé à l’heure sacrée de minuit la
cérémonie de l’adoration. Au milieu des illuminations splendides du premier
temple de la chrétienté, sous les invocations pieuses élevées dans les airs par
les chants des confréries, les autels fumant des parfums de l’encens et les
orgues roulant leurs sombres frémissements jusqu’aux profondeurs de l’immense
église, le pape assis sur son trône d’or voyait prosterné à ses pieds son
peuple de fidèles représentant la chrétienté tout entière des cinq parties du
monde, et se levait pour donner à tous sa bénédiction suprême, lorsque, tombant
du haut des cieux, un bloc de fer massif d’une grosseur égale à la moitié de la
ville de Rome avait, avec la rapidité de l’éclair, écrasé le pape, l’église, et
précipité le tout dans un abîme d’une profondeur inconnue, véritable chute au
fond des enfers !
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