A peine un
mois a écoulé après la déclaration d’Alexandre Tourtchinov sur la disposition
ukrainienne à fabriquer une bombe sale, condamnée par la Russie comme « digne d’un groupe terroriste », les djihadistes de l’Etat islamique, eux,
ont prétendu pouvoir se doter d’une capacité nucléaire au Pakistan.
Cette annonce
intervient un jour après l'échec de la réunion des pays signataires du TNP (Traité
sur la non-prolifération des armes nucléaires) à se mettre d'accord pour créer
une zone dénucléarisée au Proche-Orient. La double coïncidence de calendrier
incite à la prudence.
Samuel
Laurent, consultant international, spécialiste du djihad, auteur du livre « Etat islamique: organigramme, financements,
filières », appelle à ne pas prendre cette menace au sérieux: « L'Etat islamique a parfaitement les moyens
d'instiller la peur en Occident sans mettre en place un programme nucléaire en
bonne et due forme. C'est une victoire avant même de l'acquérir. Au marché
noir, le gramme d'uranium enrichi se négocie à 10.000 — 15.000 dollars. Pour
faire une bombe, il faut avoir des dizaines de kilogrammes. L'Etat islamique
gagne des dizaines de millions de dollars par mois, ne serait-ce qu'avec les
revenus du pétrole. Donc, les calculs sont arithmétiques. Après, il faut se
poser la question: est-ce que les djihadistes vont avoir tous les relais au
Pakistan, très corrompu et, en même temps, très surveillé par les Américains?
C'est peu probable. Est-ce qu'ils vont avoir les moyens, ensuite, de fabriquer
une bombe? Même s'ils ont récupéré du matériel hautement technologique, du
matériel militaire américain en Irak, ils n'ont pas le savoir-faire pour mettre
en place un missile. Par contre, ce qu'on peut craindre — ce sont des attentats
à une bombe sale, c'est-à-dire une bombe composée d'uranium peu enrichi et
utilisée avec un explosif « normal » qui va diffuser de la radioactivité dans
le périmètre ambiant. »
Le Pakistan,
lui, n'est pas du tout disposé à laisser l'Etat islamique prendre ses armes
nucléaires. Pays non-signataire du TNP, il avait démenti un accord nucléaire
avec l'Arabie Saoudite au risque, semble-t-il, de voir se déclencher un conflit
fatal avec l'Inde.
En ce qui
concerne l'Etat islamique, sa déclaration alarmante intervient un jour après la
fin de la réunion du TNP du 27 avril au 22 mai à New-York, lorsque les
Etats-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada ont rejeté l'initiative arabe de
créer une zone exempte de l'arme nucléaire au Proche-Orient. D'où cette absence
d'accord international sur la dénucléarisation du Golfe? Y a-t-il des pays
intéressés à voir l'arme nucléaire proliférer au Proche-Orient?
« A l'heure actuelle, il y a une émergence
d'un conflit entre l'Arabie Saoudite et l'Iran, explique Samuel Laurent. Il y a
une arche chiite qui est en train de se créer au Yémen, en Syrie, en Irak, etc.
De plus, l'émergence de l'Iran en tant que puissance régionale inquiète
l'Arabie Saoudite qui était, jusqu'à présent, le seul véritable poids-lourd, le
seul interlocuteur des puissances occidentales. Il va-t-y avoir une véritable
compétition, une course aux armements de laquelle l'arme nucléaire ne peut pas
être exempte. On sait que l'Iran s'est déjà avancé sur le terrain, donc,
d'autres pays de la région peuvent y être intéressés et peuvent utiliser comme
levier leurs capacités de pression économique sur des pays occidentaux,
économiquement vulnérables par rapport à leurs partenaires financiers de la
région du Golfe. Je pense, notamment, à la France qui est très proche et
dépendante du Qatar. »
« Les Occidentaux, surtout les Etats-Unis et
la France, ont commis de graves erreurs, notamment, en armant la rébellion
syrienne qui était faible, corrompue, idéologiquement beaucoup plus proche des
salafistes qu'on ne le croyait. La quasi-totalité des armes s'est retrouvée aux
mains de l'Etat islamique: les Kurdes se sont emparés des missiles français
Milan à Kobané, des missiles Tow ont été retrouvés dans d'autres brigades salafistes
de Syrie et, récemment, Al-Qaïda a repris tous les missiles et tous les
armements livrés à la brigade Al-Hazm qui est soutenue par la CIA. Depuis deux
ans, on essaye d'isoler l'Etat islamique, de faire croire qu'il y a une
différence entre les djihadistes d'al-Bagdadi et le reste de l'opposition
syrienne. La véritable erreur est là. »
Si l'Etat
islamique se dotait d'une bombe nucléaire, qui pourrait-elle menacer?
avons-nous demandé à Samuel Laurent. « L'Iran
et la Syrie seraient immédiatement visés. Mais, à mon avis, on est plutôt dans
la spéculation parce que l'arme nucléaire n'est pas à l'ordre du jour. Se
focaliser sur les menaces aussi éloignées nous évite de poser les vraies
questions. On a fait des erreurs terribles depuis le début de cette guerre, on
a systématiquement armé et soutenu le mauvais camp. Aujourd'hui, l'idée d'une
bombe nucléaire qui pourrait surgir dans un an ou deux nous permet d'éluder les
questions les plus immédiates, à savoir ce qu'il faut faire pour bloquer l'Etat
islamique, avec qui il faut travailler, de quelle manière il faut complètement
revoir notre politique, à savoir, travailler avec Damas, engager l'Iran, et
quitter cette espèce d'irréalisme permanent. »
Parmi les
cibles potentielles, au-delà de la région du Golfe, figurent l'Europe, la
Russie et les Etats-Unis. La première a déjà beaucoup souffert sur tous les
plans de la guerre asymétrique mise en place sur le continent: des attenants
contre Charlie Hebdo à Paris, en passant par les réseaux de radicalisation aux
prisons et mosquées, jusqu'aux problèmes sociaux liés à l'immigration
clandestine, notamment, en Méditerranée.
Une guerre
contre la Russie dans la région du Caucase du Nord est peu probable. En
septembre 2014, le président de la République de Tchétchénie Ramzan Kadyrov n'a
pas mâché ses mots en ripostant à la menace « puérile » des extrémistes: « Je
déclare solennellement que quiconque se mettant en tête de menacer la Russie et
prononcer le nom de Vladimir Poutine sera anéanti dès qu'il le dit. Nous n'attendrons
même pas qu'il soit installé aux commandes d'un avion ». En même temps,
l'Etat islamique avait l'intention de proposer à la Russie l'accès aux
gisements pétroliers dans la province irakienne Al-Anbar à condition que Moscou
révèle les secrets du programme nucléaire irakien et arrête de soutenir Damas.
Il semble que la fureur militaire contre la Russie s'est étouffée et se
focalise ailleurs.
Les Etats-Unis
seraient les premiers dans la liste des cibles à abattre. Dans le système de
valeurs djihadiste, les Etats-Unis se présentent comme ennemi principal et
absolu. Il y a un mois, l'Etat islamique a menacé Washington de répéter le
terrible scénario du 11 septembre, de « brûler
l'Amérique ». Résultat: Washington tomberait victime de sa propre création,
comme ce fut le cas, il y a 14, ans avec Al-Qaïda, engendré et soutenu par les
Américains dans la lutte contre l'URSS.
Vous n'êtes
pas sans vous rappeler que, selon un rapport récemment déclassifié, la DIA
(Agence américaine du renseignement de la défense) avait prévu l'émergence de
l'Etat islamique déjà en 2012, ce qui n'a pas empêché les Etats-Unis de livrer
des armes et de l'argent à l'opposition syrienne, étroitement liée aux
djihadistes. De plus, en septembre 2014, la secrétaire d'Etat à l'Intérieur du
Royaume-Uni Theresa May craignait que l'Etat islamique profite des possibilités
de s'emparer de l'arme chimique, biologique et nucléaire du Pakistan.
Dans le pire
des cas, on peut craindre la première guerre nucléaire « locale » depuis Hiroshima et Nagasaki. Car, la victime de
l'attentat nucléaire de l'Etat islamique, qui que ce soit, riposterait, sans
doute, par une frappe de représailles. Par conséquent, le moratoire sur
l'utilisation de l'arme nucléaire dans des conflits armés serait levé.
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