"Sathya Sai Baba n'est plus avec nous physiquement. Il a quitté son enveloppe charnelle ce matin à 7 heures 40 en raison d'une défaillance cardiaque et respiratoire". C'est ainsi qu'un responsable du grand hôpital de Puttaparthi a annoncé la mort du plus célébre gourou de ce siècle en Inde. Les forces de l'ordre sont sur les dents, redoutant des débordements : des milliers de dévots priaient depuis plusieurs jours dans la petite ville d'Andra Pradesh, espérant encore un miracle. Samedi, Le Figaro a publié le portrait que j'avais dressé de Sai Baba, le qualifiant encore de "dieu vivant". Lire ci-dessous.
"Sai Ram ! Sai Ram ! " Ils sont des milliers, venus de tous les horizons ; d'Inde, mais aussi du reste de l'Asie, d'Europe, d'Afrique, d'Amérique. Leurs incantations déchirent l'air brûlant de Puttaparthi, petite ville de l'Andra Pradesh où se meurt Sathya Sai Baba, leur gourou, le « dieu vivant » le plus célèbre d'Inde. Et bien au-delà : il aurait jusqu'à 100 millions d'adeptes dans le monde. Ils prient pour retarder son « départ », espèrent encore, se lamentent. Celui que l'on nomme aussi « Bhagwan » n'avait-il pas prédit qu'il vivrait jusqu'à 96 ans ? Il n'en a même pas 85 ! Mais il est hospitalisé depuis le 28 mars pour défaillance cardiaque. Son souffle ne tient plus qu'à quelques électrodes.
Né le 23 novembre 1926 dans une famille de pauvres agriculteurs à Puttaparthi, qui n'était encore qu'un village, celui qui s'appelait alors Sathya Narayana Raju se fait remarquer dès sa plus tendre enfance pour sa grande intelligence. Le petit garçon accomplit même des miracles, faisant apparaître de la nourriture, et notamment des friandises. Il chante et danse à la perfection. Persuadés d'avoir un enfant « possédé » , ses parents le conduisent chez un exorciste, comme cela se fait encore aujourd'hui dans les campagnes reculées en Inde. Pas de quoi ébranler la foi de Sathya. À quatorze ans, il déclare sans ciller être la réincarnation de Sai Baba de Shirdi, un saint de l'hindouisme mort en 1918. Un personnage toujours vénéré par les hindous, mais aussi les musulmans et les chrétiens. En Inde, son portrait trône sur le tableau de bord des taxis et autres véhicules. Au coeur de New Delhi, le temple de Sai Baba de Shirdi est très fréquenté, surtout le jeudi.
« Il ne pèse plus que 32 kg »
Le « nouveau » Sai Baba fait vite recette avec son mantra : « Aimer tout le monde ; servir tout le monde ; aider toujours ; ne jamais blesser ». À l'image du saint homme dont il dit être l'incarnation, il se veut œcuménique : aucun de ses fidèles n'est contraint de renoncer à sa religion. Visionnaire, et bien que prévoyant de ne quitter ce monde qu'à 96 ans, « Bhagwan » a toujours expliqué qu'il y aurait une période de transition de huit ans entre sa mort et l'avènement de son successeur, en 2030. Ce nouvel avatar viendrait de Gunaparthi, un village du Karnataka. La transition sera-t-elle plus longue ?
Aux bulletins de santé très alarmistes de la fin du mois de mars, avaient pourtant succédé des rumeurs de « prochain rétablissement » . Les prières s'étaient alors faites un peu plus sourdes à Puttaparthi, ne franchissant plus guère l'enceinte de Prashanti Nilayam (littéralement « havre de paix suprême »), le principal ashram de Sai Baba, qui en possède trois en Inde. Puis les médecins ont parlé d' « état critique mais stable ». Jeudi soir enfin, ils ont prononcé les mots tant redoutés : « Sathya Sai Baba est dans un état très critique. Les organes vitaux ne répondent que très faiblement au traitement. Le foie ne fonctionne plus, le coeur et les reins se détériorent et il est sous respiration artificielle. Il ne pèse plus que 32 kg. » Un ministre du gouvernement régional renchérissait : « La santé de Baba s'aggrave d'heure en heure. Tous les efforts des médecins restent sans résultat. »
Alors, les pèlerins ont repris le chemin de Puttaparthi. Hier, ils étaient près de 10 000. Un cauchemar pour les autorités régionales qui redoutent les débordements d'une foule aux émotions exacerbées. « Il faut comprendre l'agitation des fidèles. Selon certaines rumeurs, Bhagwan a quitté son enveloppe charnelle il y a quelques jours déjà et les docteurs s'acharnent juste à maintenir ce corps en vie à l'aide de machines », lance K. Narayana, un dévot qui campe depuis plusieurs jours à proximité de l'hôpital où repose Sai Baba. Peutêtre n'a-t-il pas tort... Dès jeudi, la municipalité a donné ordre de fermer les magasins et tous les établissements publics à Puttaparthi. Mille policiers ont investi la ville et un millier d'autres attendent dans les villages avoisinants, prêts à intervenir. « Nous devons à tout prix tenter de canaliser l'énorme foule qui ne manquera pas de se presser ici et éviter des débordements qui pourraient dégénérer en violences » , explique un officier de police. L'aéroport (un cadeau de Sai Baba) et la gare ont été placés sous très haute sécurité car, au-delà des fidèles anonymes, commencent à affluer les « VVIP » . Des « gens importants » , Sai Baba en compte beaucoup au nombre de ses disciples. Dont l'ancien président A. P. J. Abdul Kalam ; l'ex-premier ministre Atal Behari Vajpayee ; la star du cricket Sachin Tendulkar... Presque tout le monde le respecte. Manmohan Singh, le chef du gouvernement de Delhi, et Pratibha Patil, la présidente, se sont rendus en novembre dernier à une invitation du gourou pour lui rendre hommage.
Soins gratuits pour tous
Pour autant, Sathya Sai Baba reste un personnage controversé. D'aucuns ramènent à la prestidigitation les miracles qu'il affirme accomplir. Dans les années 1970, des rationalistes, en Inde et à l'étranger, ont mis le gourou au défi de faire la preuve qu'il n'était pas un charlatan. Sai Baba a refusé de relever le gant, ce qui lui a valu le désamour de quelques fidèles.
Mais c'est surtout l'immense empire qu'il a bâti grâce aux dons de riches adeptes du monde entier qui éveille les soupçons. Et la « succession matérielle » du saint homme inquiète encore plus que sa « succession spirituelle ». Il l'aurait d'ailleurs moins bien préparée. Ou, en tout cas, de manière beaucoup moins transparente. Sai Baba est à la tête d'une immense fortune, qui représente des milliards d'euros. On ne connaît aucun héritier en titre à ce célibataire qui a rompu avec sa famille à l'exception de l'un de ses frères et d'un neveu. Pour l'heure, l'empire composé de plusieurs universités, maisons d'édition, associations pour le développement de la condition des femmes ou encore hôpitaux, est géré par le Sathya Sai Central Trust (SSCT).
Sai Baba a commencé par faire de Puttaparthi, son village natal, une petite ville moderne. Outre l'aéroport, il y a construit un super-hôpital, celui-là même où il agonise en ce moment. Il l'a aussi dotée d'une université, d'un musée, d'un planétarium, de deux stades. Sans compter, bien sûr, l'ashram. Puis il a étendu ses projets charitables à d'autres régions. À Bangalore, l'hôpital qui porte son nom est d'un modernisme impressionnant. « Tout le monde peut venir s'y faire soigner gratuitement », confiait récemment un homme d'affaires à Bangalore. Le gourou indien a aussi financé des projets d'alimentation en eau potable dans 150 villages de l'Andra Pradesh et au Tamil Nadu voisin.
Les esprits tatillons font valoir que tout l'argent encaissé par Sai Baba et son Trust est exempté d'impôts. Les plus acharnés soulignent que personne ne sait exactement à combien s'élèvent les dons. Isaac Tigrett Burton, l'Américain qui a fondé la chaîne Hard Rock Café, aurait ainsi versé quelques milliards de dollars au saint homme pour lui permettre de construire, en 1991, l'hôpital dans lequel il est en train de mourir.
Source
Le Figaro, par Marie-France Calle, le 24 avril 2011
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