Nina Dobrev
Plusieurs hypothèses illustrées par des exemples réels permettent d'envisager les raisons d'une soif de sang féroce. Dans la majorité des cas spectaculaires, ce sont de simples croyances ou l'association de la compulsion sexuelle avec le sadisme qui amènent une personne à convoiter le sang, pas toujours dans le but de le boire.
Croyances et cultures
La comtesse hongroise Erzebeth Bathory (née en 1560), connue comme le premier cas décrit de "vampire" (exception faite de l'étrange cas de Gilles de Raie), était versée à l'art de la torture, notamment avec l'initiation et l'aide de son mari. Le jour ou elle frappa si fort une servante qu'elle reçue de son sang sur la peau, elle eut l'impression que celle-ci rajeunissait. La légende prétend qu'elle commença à se baigner dans le sang de jeunes femmes, poussée par l'appât du rajeunissement. Néanmoins, culturellement, elle baignait surtout dans une atmosphère et une éducation qui encourageaient ses penchants sadiques. La recherche du sang avait dans son cas un but étranger à l'ingestion.
Elle devint cependant l'inspiratrice d'une mouvance littéraire dédiée aux créatures de l'ombre, à partir du 17ème siècle et siècles suivants, par exemple, avec le célèbre roman de Bram Stoker, Dracula (1897). Ce gain d'intérêt pour les monstres et horreurs nocturnes permit de véhiculer largement l'image des vampires, inspirant en retour plusieurs criminels et développant certaines croyances (lorsqu'il boit le sang, Dracula "rajeunit", boire le sang revient à voler l'énergie vitale de la victime…).
De récents cas peuvent être rapprochés de l'influence culturelle. Le jeune Joshua Rudiger, 22 ans, se pensait un vampire âgé de 2000 ans, comme ceux dont il avait lu les aventures dans des livres, lorsqu'il assassina et bu le sang d'une femme sans domicile fixe. Le couple et ManuelaDaniel Ruda expliquait en 2002 avoir tué et bu le sang de Frank Haagen, sous l'impulsion de forces sataniques. Il s'avère que tout deux participaient à des rencontres underground dans lesquelles il leur est arrivé d'ingérer du sang de donneurs consentants, dans un contexte culturel et identitaire particulier. Ces cas récents, bien que liés à des troubles profonds de la personnalité, tirent leur nature d'un environnement encourageant l'ingestion de sang.
Paraphilies, psychopathie et compulsions d'ordre sexuel
Cette atmosphère culturelle, une fois associée au sadisme intrinsèque de quelques criminels, a donné naissance à plusieurs cas de "meurtriers vampires". Toutefois, la culture seule est généralement insuffisante à créer des cas d'exo-vampirisme clinique. Citons par exemple le cas du Monstre de Dusseldörf, Peter Kürten, dont l'excitation sexuelle se manifestait à la vue du sang qui gicle/coule ou lorsqu'il l'ingérait, que ce sang provienne d'animaux ou d'humains. Dès l'enfance, on trouvait les traces d'un comportement sadique caractéristique envers les animaux, associé plus tard à la psychopathie ainsi qu'à des tendances nécrophiles lors de comportements de viol et de meurtre. La présence d'une composante fétichiste sexuelle de l'ingestion ou de la vue de sang est la caractéristique nécessaire du Syndrome de Renfield, décrit par le psychologue Richard Noll (1992).
La psychologie clinique et expérimentale s'était cependant emparée du sujet dès 1886[6], lorsque le neurologue allemand Krafft-Ebing remarqua l'existence d'une composante sexuelle chez des meurtriers, attachée à la vue du sang de leur victime. Sur 238 cas répertoriés, il note fréquemment dans les cas de psychopathies meurtrières sévères, une excitation inspirée par le sang, symbolique selon lui de la domination et du contrôle exercé sur la victime. Dans une large proportion de ces cas cependant, le vampirisme est associé au cannibalisme et à la torture (post ou ante-mortem) témoignant de la psychopathie.
Il faut noter que le roman de Bram Stocker, ayant inspiré le nom du syndrome de Renfield, était publié quelques années seulement (1897) après l'édition anglaise traduite Psychopathia sexualis, de Krafft-Ebbing (1892), lequel détaillait les cas de vampirisme avec une approche clinique. Un cas typique de ce type de vampirisme est celui de John Georges Haigh[7], reconnu coupable du meurtre de 9 personnes, amis et connaissances proches, qu'il droguait ou frappait et égorgeait, usant d'une paille ou d'une coupe pour boire leur sang à partir d'une veine ou d'une artère. Haigh explique que vers l'âge de 10 ans, un évènement d'apparence anodine allait conditionner sa future soif de sang : il se blessa au doigt avec une brosse métallique et spontanément, le porta à sa bouche. Il garde de cet évènement un souvenir mêlé de plaisir profond et de bien-être, le goût de son propre sang lui ayant apporté des sensations nouvelles et excitantes. Aucun symptôme d'allure psychotique ne put être mis en évidence. Haigh disait lui-même qu'une fois bu le sang de ses victimes, il se sentait mieux. Noll estime que les cas de vampirisme clinique issus de pulsions sexuelles brisent un tabou en ingérant le sang. Cette rupture des codes suffirait selon lui à expliquer l'excitation ressentie lors du passage à l'acte.
Psychose sans lien avec la mythologie vampirique
Hors les cas issus de croyances et de pulsions sexuelles, la littérature criminologique et scientifique a décrit la présence de symptômes de vampirisme chez des psychotiques, comme Richard Trenton Chase. Diagnostiqué schizophrène dans les années 1970 et interné, il fut un jour retrouvé avec du sang autour de la bouche provenant vraisemblablement de deux oiseaux, morts, et déposés sur le bord de sa fenêtre. Lorsque son séjour en institution fut terminé, il loua un appartement et commença à boire le sang de divers animaux de compagnie : chats, chiens, lapins. Il confessera plus tard en avoir eu assez du sang des animaux, à l'époque ou il commença à rechercher du sang humain. Six meurtres plus tard, il fut arrêté et condamné à mort.
Sa soif de sang s'inscrivait davantage dans le cadre d'un délire que dans celui d'un plaisir sexuel. Dès son adolescence, Chase ressentait le besoin de se purifier et s'angoissait excessivement pour son corps : il s'était plaint plusieurs fois de phénomènes corporels étranges (son cœur s'arrêtait, son estomac bougeait à l'intérieur de son corps, ses os poussaient à l'arrière de son crâne…) et entretenait des visions délirantes et angoissantes à propos de celui-ci. Par exemple, il débarqua un jour dans une salle de chirurgie pour retrouver l'homme qui, selon ses dires, aurait volé son artère pulmonaire. Son désir de boire le sang avait donc davantage de liens avec le délire de purification (boire le sang d'autrui pour purger son propre sang empoisonné) qu'avec une pulsion d'ordre érotique. Un cas semblable plus récent[8] décrit l'auto-vampirisme d'une patiente de 35 ans dans le cadre d'un délire schizophrénique similaire de purification. La patiente se plaignait de dépersonnalisation et consommait son propre sang sous l'impulsion d'hallucinations auditives.
Psychose et culture vampirique
Sur fond de psychose, la culture vampirique peut apporter des éléments constitutifs du délire schizophrénique jusqu'à provoquer le vampirisme clinique. C'est le cas du patient meurtrier James Riva, qui dès l'âge de 13 ans, développa une fascination excessive vis-à-vis du mythe des vampires. Avec son développement, cette admiration s'est transformée peu à peu en éléments délirants lui faisant croire que sa grand-mère, bien qu'en chaise roulante, attendait la nuit qu'il sommeille, pour lui voler son sang. Il se mit à manger de plus en plus de nourriture sanguinolente, puis s'attaqua directement à des animaux vivants. En avril 1980, il tua sa grand mère par balles, sur ordre d'une " voix " qu'il attribuait à un vampire, et consomma son sang. Dans son délire, il pensait qu'il existe de nombreux vampires, et espérait en devenir un. Pour faire partie de leur groupe, il devait alors tuer quelqu'un et boire son sang.
Le mélange des genres
Désormais, le mythe du vampire est devenu partie intégrante de notre culture. Aussi, les liens qu'il entretient avec les comportements réels de meurtriers ou de patients, ou simplement d'admirateurs, se consolident ; culture, médias et individus s'influencent mutuellement. Le pouvoir des croyances se rencontre par ailleurs dans des situations inverses à celle du vampire tueur : Kirk Palmer, du Colorado, tira sur Antonia Vierira parce qu'il était convaincu que son amie était une vampire !
Si l'on remarque une recrudescence des "meurtriers vampires" c'est avant tout grâce à la confusion des genres : cannibalisme, sadisme, nécrophilie, nécrosadisme, sont autant de raisons de qualifier de vampire tout auteur d'agression brutale et spectaculaire, tout meurtrier en série dont le modus operandi consisterait en une utilisation du sang ou de la chair de ses victimes, de quelque façon que ce soit. Or, ainsi que le souligne Herschel Prins, le vampirisme clinique semble se démarquer de ces pratiques dans le sens où il constitue une entité clinique, certes souvent co-morbide à d'autres comportements paraphiles, mais qui se suffit à elle-même et peut donc se trouver indépendamment de ces autres comportements, se caractérise par une évolution et un tableau clinique systématique.
L'hématophagie se rencontre rarement dans le domaine animal (une vingtaine d'espèces de vertébrés seulement) et ne constitue pas un régime alimentaire sain pour l'homme, étant donné la composition très peu nutritionnelle et la haute teneur en fer. Le corps n'a pas besoin de boire le sang, malgré l'existence de conditions particulières comme la porphyrie, elle-même vraisemblablement à l'origine du mythe vampirique (Dolphin, 1985). Les conditions de vampirisme clinique sont donc liées possiblement à la culture d'une part, mais également et nécessairement à un besoin sexuel déviant (par exemple, plaisir seul issus de la perception de domination et du contrôle) ou une thématique délirante. Dans les cas ou l'environnement seul semble être le facteur déclenchant et entretenant le goût pour le sang, on constate généralement des troubles de la personnalité sévères, la culture n'apportant qu'une excuse ou une direction pour les tendances antisociales, obsessionnelles ou schizoïdes préexistantes, des patients.
Source
PsychoWeb.fr, Stephane Desbrosses, 5 mai 2011
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