Temple de Yonghe situé à Pékin en Chine
(Tokyo, Japon) Alcool, cannabis et strip-teaseuses font partie de la vie d'un clergé de plus en plus débridé.
Montre de nanti au poignet, chaussures cirées, costume fringant, cravate et plis soyeux : rien ne distingue Hiroomi Itagaki de ces courtiers qui, à Tokyo, roulent en Ferrari et passent le week-end à Guam et Okinawa. Sauf que ce quadra souriant et bien dans sa peau, client du Body & Soul, un club de jazz de Tokyo, confesse exercer un métier rare au Japon de la PlayStation et de la robotique humanoïde : prêtre. Dans la hiérarchie des ordres bouddhiques, Itagaki-san est plus exactement, comme l'indique sa carte de visite, «vice prêtre» au Daishoji, un ancien temple impérial du «petit Kyoto». A l'interlocuteur surpris à tort, par son allure et son mode de vie, il explique qu'«honorer les divinités ne veut pas dire souffrir ou être dans le besoin. Au contraire. Au temple, je suis un disciple de la foi. Au dehors, je mène ma vie comme je l'entends». Itagaki-san précise être aussi «dans les affaires».
Cette idée de la prêtrise semble devenir de plus en plus la règle dans l'archipel. Grâce à une loi de 1951, les religieux nippons gèrent eux-mêmes leurs lieux de culte. Et mènent librement tous types d'opérations commerciales. Ce qui n'est pas rien dans un Japon hyperreligieux, où l'on compte près de 219,6 millions d'adeptes, parfois de plusieurs religions (shintoïsme, bouddhisme, taoïsme, confucianisme, etc.), pour 126,8 millions de Japonais ! La seule secte Soka Gakkai («Société pour la création des valeurs»), d'obédience bouddhiste, coiffe un empire d'actifs aux profits annuels estimés à 2,1 milliards d'euros.
Les nouveaux prêtres nippons se marient, ont des enfants et «une approche modérée des vices». Ils boivent, fument et ne sont pas tous végétariens. D'autres cumulent des business légaux, parfois illégaux. Un prêtre officiant à Takanawa, quartier de Tokyo fourmillant de sanctuaires et de temples, dont le célèbre Sengakuji, où sont alignées les tombes des mythiques «47 rônins» (ex-samouraïs condamnés en 1 703 à un suicide collectif par le shogun Tokugawa), raconte sa passion pour le takarakuji (loto). «On peut être prêtre et passer du bon temps, dit-il. Des adeptes de la méditation sont des propriétaires aisés. Roulent en Benz ou en Jaguar. Ont des restaurants, des tas d'entreprises ou travaillent avec le show-biz et la télé. C'est normal au Japon.» Des milliers de sectes prêchent sans honte le matérialisme. D'autres, plus occultes, divinisent l'argent et l'appât du gain.
«Nirvana». Cette évolution, contraire à l'esprit des branches mystiques du bouddhisme, présente, selon certains, des risques. «Les âmes ne peuvent être perverties», fait dire Akira Kurosawa à un héros de son film mythique Rashômon. Pas celles en tout cas de pseudo-moines et prêtres ripoux que leur costume protège. Et que la justice nippone rattrape. Mi-décembre, alertés par le comportement suspect de Michimaru Obara, un prêtre de 48 ans, des enquêteurs fouinant les environs de son lieu de culte, le sanctuaire shinto Eikoji, dans la préfecture de Iwate (nord-est du Japon), ont découvert une récolte de cannabis. Et saisi 2,4 kilos d'herbe. Selon la police, le prêtre, fumeur à ses heures, écoulait aussi sa marchandise. Il avait déjà été arrêté pour détention de drogue. Or, au Japon, les drogués multirécidivistes risquent la prison à vie. Rien qui effraie toutefois ces fumeurs nippons adeptes d'un bouddhisme lointain. Tels que Shey, 47 ans, qui partage sa vie entre le Japon et le Népal, et dit être «en quête permanente du nirvana, si important dans notre culture ancienne».
Les affaires de religieux ripoux défraient souvent la chronique au Japon. En novembre, à Matsubushi, la police a arrêté un prêtre de 34 ans, adepte du voyeurisme, qui s'infiltrait dans les vestiaires pour femmes d'un gymnase et se planquait dans les douches. En septembre, dans la préfecture d'Akita, un prêtre de 74 ans a été arrêté avec son épouse, complice. Ils avaient fait croire à une lycéenne de 17 ans atteinte d'une maladie sexuellement transmissible qu'ils pouvaient la guérir. D'après la police, la lycéenne a été conduite dans une chambre d'hôtel où elle a été violée par le vieux prêtre, qui nie. Autre arrestation, en mai, celle d'un moine pyromane officiant au temple Sofukuji à Fukuoka (sud du Japon), qui a reconnu avoir mis le feu et détruit trois bâtiments annexes du temple pour des problèmes relationnels avec les autres tenants du lieu.
«Harmonie». Hirosuke Hoashi, prêtre bouddhiste de 35 ans, affilié au temple Shomanji, à Tokyo, porte un oeil très zen sur tous ces scandales. Lui est un religieux d'un genre nouveau. «Je ne me sens pas particulièrement moderne, dit-il. Je veux juste avoir du fun !» Il est devenu prêtre car c'était sa «destinée». «Je suis tombé amoureux de la fille d'un prêtre. Pour l'harmonie de notre couple, je me suis marié et suis devenu prêtre à mon tour. Nous avons deux enfants.» Le temple de son beau-père lui garantit moyens et revenus. Il dit pouvoir monter des «business parallèles». Notamment dans le milieu underground de Tokyo. Prêtre avant-gardiste, il a fondé un groupe de musique expérimentale et organise, avec ses amis DJ, des soirées «dansantes». Au Star Pine Café, à Kichijoji (ouest de Tokyo), il chantait carrément des mantras aux côtés d'une strip-teaseuse. Au Japon, la théorie du yin et du yang tolère tous les contraires.
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