jeudi 6 octobre 2011

La malédiction de Canaan


L’ivresse de Noé, Giovanni Bellini, Musée de Besançon, 1515


La malédiction de Canaan est certainement l’un des récits les plus célèbres de la Genèse, premier livre de l’Ancien Testament. Comme beaucoup d’autres histoires de la Bible les interprétations possibles sont immenses tant par ses côtés métaphoriques que polysémiques.

Canaan était le petit-fils de Noé, et, de ce fait, le fils de Cham.  Noé, personnage majeur des religions Abrahamiques était cultivateur : il plantait de la vigne afin d’y produire son propre vin. Un jour, il s’enivra, puis se dévêtit à l’intérieur de sa tente. Cham se rendit auprès de lui et le vit malencontreusement nu. Il appela alors ses deux frères, Sem et Japhet, restés dehors afin de tourner en ridicule la nudité de son géniteur. Cependant, ces derniers, ne semblant pas apprécier la plaisanterie, prirent un manteau pour couvrir leur père. Un peu plus tard, il se réveilla naturellement de son ivresse. Il apprit, à son grand désarroi, que le plus jeune de ces rejetons l’avait surpris en costume d’Adam. En colère, il prononça alors sa fameuse malédiction :

« Béni soit Yahvé, le Dieu de Sem, et que Canaan soit son esclave ! Que Dieu mette Japhet au large, qu'il habite dans les tentes de Sem, et que Canaan soit son esclave ! »

Cham avait quatre enfants Kush, MiçrayimPut, et enfin Canaan, mais seul ce dernier, et l’ensemble de sa descendance auraient à subir cette terrible prophétie.


Une justification de l’esclavage
La prospérité de cette incroyable histoire provient de l’interprétation de certains théologiens de la Renaissance pour justifier l’esclavage des Noirs. En 1492, Christophe Colomb découvrit, avec son équipage, l’Amérique. Ce continent, n’appartenant à aucune des puissances alors présentes, fut rapidement conquis et les amérindiens massacrés. Les conditions étaient réunies pour justifier la servitude des Noirs. Les nouvelles colonies installées dans le Nouveau Monde avaient besoin de beaucoup de mains d’œuvres, si possible, peu chères. C’est ainsi que se développa le Commerce Triangulaire entre l’Europe Occidentale, l’Afrique et l’Amérique. Mais ce fait posait de sérieux problèmes éthiques, moraux, et religieux. Les théologiens dénichèrent alors dans les écrits sacrés une justification de l’esclavage. Selon eux, les Noires étaient simplement les descendants maudits de Canaan. Au 19ème siècle, la plupart des pays abolirent cette pratique, et malgré cela de grandes personnalités ecclésiastiques la soutenaient encore. Ainsi, le Pape Pie IX déclara en 1866 (soit 18 ans après l’abolition de cette pratique en France) :

« L'esclavage, en lui-même, est dans sa nature essentielle pas du tout contraire au droit naturel et divin, et il peut y avoir plusieurs raisons justes d'esclavage, et celles-ci se réfèrent à des théologiens approuvés... Il n'est pas contraire au droit naturel et divin pour un esclave, qu'il soit vendu, acheté, échangé ou donné. »


Une interprétation erronée
Toutefois en analysant plus amplement les textes bibliques, on constate que cette interprétation est tout à fait fausse. D’après ceux-ci, les Noirs d’Afrique ne descendraient aucunement de Canaan mais de deux autres fils de Cham : Kush (ancêtre des créateurs du Royaume portant son nom, qui s’est établi au Sud de l’Ancienne Egypte) et probablement Put (qui aurait été, selon certaines sources, le fondateur de l’actuelle Libye). Or d’après les déclarations de leur grand-père Noé, ils n’auraient pas été victime de la malédiction.


Dans son ouvrage, L’esclavage et l’Église catholique, John Maxwell défendit cette thèse :

« Cet exemple désastreux d’exégèse fondamentaliste a servi pendant 1 400 ans à justifier l’idée que les Noirs d’Afrique sont maudits de Dieu. »

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