dimanche 7 août 2011

Entretien avec Gérard Mouls, psychiatre



(Réunion) Dans “Études sur la sorcellerie à la Réunion”, Gérard Mouls, psychiatre, révèle l’origine, l’importance, le rôle et la prégnance des croyances sorcières dans l’île. Il décrypte ici la véritable pensée magique et celle des charlatans. 

Qu’est-ce qu’un sorcier ?

Il désigne tout individu qui effectue des pratiques magiques ou surnaturelles dans le but d’influencer les phénomènes naturels. Il n’y a pas de distinction subtile entre magicien et sorcier dont les domaines seraient pour l’un licites et bons, mauvais et illégaux chez l’autre, pas de clivage entre magie blanche et noire. Le sorcier est une figure réunionnaise qui jette et retire des sorts (“i tire le sort”), guérit les maladies mystérieuses somatiques (“i tire le mal”) ou psychiques (“i tire l’esprit”), qui prédit l’avenir (“devineur”), qui prépare des thérapeutiques (“tisaneur”). On en parle peu. D’ailleurs on utilise plus le terme de devineur ou guérisseur que sorcier. Le sujet est tabou mais on laisse sous-entendre allusivement que bien des choses lui sont liées. 

Quelle est la part de charlatans ?

Les charlatans sont assez rares (5 à 10 %) et très vite repérés. On les reconnaît parce qu’ils demandent des sommes pharamineuses. Les “vrais” disent de donner ce qu’on veut. Il existe aussi ceux qui souffrent d’une maladie psychiatrique (paraphrène délirant). Mais ils ne font pas long feu car ils sont trop bizarres et n’arrivent pas à s’adapter à la clientèle. Le reste des sorciers sont un mix entre les deux : ils sont un peu charlatan et pensent avoir des pouvoirs hérités. 

Quel est le profil d’un “mazigador” (sorcier) ?

Ce sont des gens à la fois un peu mythomanes, sûrs d’eux et dominateurs. C’est un profil que l’on retrouve chez les hommes politiques. Lorsqu’ils sont en résonance avec la culture ancestrale de leur pays d’origine, on ne peut pas dire qu’ils sont délirants. 

Quelle est l’origine de la prégnance des croyances sorcières dans l’île ?

Il est possible que le développement historique des pratiques de guérison soit dû en partie à la sous-médicalisation qui a longtemps régné à la Réunion. L’origine africaine et malbare des populations esclaves explique le recours aux techniques soignantes utilisées de tous temps dans ces pays. En Afrique, les guérisseurs et les féticheurs tiennent une place importante dans la société, et leurs pratiques transmises oralement se sont conservées. Les légendes racontées par les familles alimentent ensuite la croyance. 

Pourquoi la sorcellerie semble un phénomène plus répandu à la Réunion qu’en métropole ?

La Réunion est une terre neuve composée de cultures cristallisées d’une manière assez globale. Tout le monde y croyait auparavant. En France aussi a une certaine époque. Mais la révolution a remis ça au placard avec le mouvement des Lumières. Et cette culture n’a pas touché la Réunion. Aujourd’hui, tout le monde y croit peu ou prou, même les rationalistes. Dans toutes les sociétés on croit à la sorcellerie. Il n’y a que les occidentaux qui affectent de ne pas y croire. Mais la force, c’est leur magie à eux. 

Comment expliquez-vous les guérisons dont certains devineurs revendiquent l’origine ?

J’ai assisté un jour chez Mme Visnelda à une chose spectaculaire. Une femme soi-disant paralysée s’est levée. A mon avis, la personne ne devait pas être si paralysée que ça. Elle devait avoir de l’arthrose, s’est laissée aller et a fini par croire qu’elle était infirme. En fait, c’est une psychothérapie très active, par influence. Sur injonction, elle se lève. On a besoin de réanimer nos forces de vie et les sorciers peuvent jouer ce rôle-là. C’est un procédé d’auto-guérison. On leur prête beaucoup de pouvoir mais ils n’en ont pas tant que ça. Ils ont cependant une efficacité sociologique et un effet d’influence psychique grâce à la parole. 

Quels sont les dangers de ces pratiques ?

La sorcellerie n’est pas du tout une pratique que je recommande. Elle peut être dangereuse surtout quand elle se pratique en groupe car il n’y a pas de contrôle. Ils rentrent en transe collective et font tout pour que ça marche. Les pulsions agressives paraissent à l’œil nu et ça peut mal tourner, jusqu’au meurtre parfois. Il y a aussi les charlatans qui exploitent la crédulité de beaucoup de gens. Entre 10 000 et 20 000 F. la séance de désenvoûtement. J’ai vu comme ça des personnes se ruiner. En général, la sorcellerie est nocive car elle angoisse les gens et en fait une société pathologique. Mais il ne fait pas non plus l’éradiquer. L’être humain a besoin de croyances magiques qui peuvent être remplacées par la foi ou l’amour.

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